Chapitre 11 : Rencontre nocturne

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Un soir, Kijin eut un court entretien avec son professeur principal afin que celui-ci puisse déterminer son niveau scolaire. Contrairement à ce qu'il croyait, Kijin n'était pas en retard par rapport à ses camarades. Son père qui avait toujours veillé sur son éducation, n'avait rien négligé : il lui avait enseigné le japonais, les mathématiques, l'histoire et les sciences, oubliant simplement la géographie pour ne pas donner à son fils des rêves inutiles.  Mis à part cet oubli volontaire, Kijin n'avait pas à se sentir inférieur à ses nouveaux camarades !

Son professeur tenta d'en savoir davantage sur lui mais le jeune homme, grâce à l'aide d'Aisu, avait réussi à inventer une histoire plausible afin de justifier son arrivée imprévue dans la région. Il se disait un lointain cousin de la famille Kamiaku qui, suite au décès de son père, avait décidé de de changer d'air. Le mensonge tenant la route, tout le personnel enseignant le crut et éprouva d'emblée une forte sympathie pour cet adolescent timide.

Quand Kijin quitta le bureau de l'enseignant, le lycée était vide, tous les élèves étaient partis. Le jeune homme remonta le col de son blouson et sortit de l'établissement.

Il marchait, la tête basse, tout en songeant à cet entretien : Aisu était décidément un maître en mensonges ! Tout le monde avait cru à son histoire inventée de toutes pièces ! Nul ne remettait en doute les paroles d'un « pauvre petit orphelin ».

Kijin ne put réprimer un triste sourire, ses mensonges n'étaient finalement pas si éloignés de la réalité, il était véritablement orphelin et son clan n'avait pas envie de s'occuper de lui.

Soudain, les réverbères autour de lui s'éteignirent et la rue se trouva plongée dans l'obscurité. Kijin sentit un frisson lui parcourir l'échine. Il avait comme un mauvais pressentiment. L'adolescent voulut faire demi-tour pour rejoindre le lycée, lorsqu'un homme se dressa devant lui.

— Kijin Akuma.

Un éclair se dessina dans le ciel obscur, révélant le visage d'un l'homme de haute taille . Kijin ne put réprimer un mouvement de recul, son regard paniqué s'accrocha à la figure mutilé de l'homme qui le dévisageait avec sévérité. Cet homme aurait pu être beau s'il n'avait pas possédé cette affreuse cicatrice, rouge et grossière, qui lui mangeait la partie gauche de son visage. La cicatrice partait du haut de sa paupière gauche, descendait jusqu'au creux de son cou, marquant une partie de ses lèvres et de son nez d'un tracé infamant. Kijin ne parvenait pas à quitter la blessure des yeux : cette cicatrice semblait avoir été délibérément faite par la pointe d'un poignard aiguisé ou  par la griffe d'un animal sauvage.

Le jeune homme blêmit : cette cicatrice lui en rappelait d'autres... toutes ensanglantées et couvrant un corps entier, déchiqueté par des griffes avides de liberté. Des griffes de démon... Il se plaqua les mains contre les oreilles comme pour chasser ces cris de douleur que lui seul pouvait entendre. Il ferma les yeux pour tenter d'échapper à l'image de ce corps, de ce cadavre mutilé.

L'homme, visiblement gêné par le regard de l'adolescent, détourna la tête afin de lui masquer son infirmité : en effet, si son œil droit, couleur de foudre, était grand ouvert et bien vivant ; son œil gauche lui, était clos, comme scellé à jamais par la cicatrice. Cet œil crevé accentuait, il le savait bien, la laideur de sa figure estropiée.

— Ainsi, c'est donc toi, le fameux Kijin.

Intrigué par le ton de cette voix qui devint abrupte, davantage amicale, Kijin  décrocha un œil méfiant au mystérieux inconnu.

— Et vous, qui êtes-vous ?

— Raiu Kamiaku. Aisu m'a demandé de venir te chercher ici. À croire qu'elle s'inquiète pour toi.

Un sourire amer apparut alors sur la figure mutilée.

— C'est étonnant d'ailleurs. Il est bien rare que cette chère Aisu se préoccupe d'une autre personne qu'elle-même.

Kijin se mit à le scruter avec encore plus d'attention : ainsi, il était un membre de la famille Kamiaku. Le jeune homme avait bien du mal à imaginer cet austère personnage en compagnie de l'extravagante écrivain ! Bien que sensiblement du même âge, tous deux semblaient aussi différents que le jour et la nuit ! D'ailleurs, au ton de sa voix, il était clairement évident que ce Raiu ne portait pas Aisu dans son cœur...

— Bon, tu viens ? lui ordonna l'homme tout en tournant les talons, je n'ai pas que ça à faire.

Kijin jugea plus prudent d'obtempérer sans protester et le suivit dans une petite rue non loin de là. Lorsque l'homme passa sous un réverbère, toutes les lumières aux alentours se rallumèrent. Kijin remarqua ce curieux détail, ce qui accrut sa méfiance.

Ils arrivèrent devant une petite voiture de sport. Raiu sortit ses clés de la poche de son long manteau et ouvrit les portes. Il se plaça derrière le volant. Kijin hésitait encore à s'asseoir à ses côtés. Un regard sévère de la part de Raiu lui fit comprendre qu'il valait mieux pour lui, de ne pas le faire patienter davantage.

À contre-cœur, le jeune homme se glissa sur le siège en cuir et referma la portière. Raiu poussant un grognement de satisfaction, mit le contact. Le moteur rugit et Kijin dut s'accrocher à son siège quand le véhicule fit un soubresaut avant de démarrer en trombe, dans un nuage de poussière.

Durant toute la durée de ce « voyage », Kijin garda ses mains crispées sur les rebords de son siège. L'étrange individu conduisait vite, comme s'il désirait se débarrasser rapidement de son encombrant passager. Kijin tenta de capter un sentiment ou une infime parcelle d'émotion sur ce visage ravagé mais n'y parvint guère. Raiu Kamiaku demeurait indéchiffrable.

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