Épilogue (1)

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Dans l'une des nombreuses chambres du manoir Akuma, un petit garçon s'agitait dans son sommeil. Il ouvrit les yeux et se redressa d'un bond. Il posa une main nerveuse sur son front poisseux de sueur et tenta de reprendre son souffle. Le drap humide de transpiration glissa au sol, révélant son torse marqué d'une fine cicatrice.

À tâtons, l'esprit encore tout engourdi de cauchemars, il alluma sa lampe de chevet. Son cœur cognait contre sa poitrine et un terrible sentiment d'angoisse lui enserrait les entrailles.

Viens à moi.

Cette voix... elle le hantait depuis plusieurs jours ! Le traquant, l'épiant dans chacun de ses songes ou moments de solitude. Cette voix d'homme, envoûtante, mystérieuse... de peur qu'on ne le pense fou, il n'avait pas osé en parler à ses parents.

Ne voulant pas rester seul dans sa chambre, le garçonnet se leva et sortit dans le couloir. Il le traversa sur la pointe des pieds, bien décidé à ne pas éveiller l'ouïe fine de sa vieille nourrice, avant de se diriger vers la chambre abritant sa petite sœur qui n'était âgée que de quelques mois.

Sa petite main se posa sur le panneau de bois. Il le fit coulisser et pénétra dans la pièce. Il s'avança jusqu'au berceau trônant au milieu de la pièce, se hissa sur la pointe des pieds pour voir le nourrison. Il ne put réprimer un cri lorsqu'il constata que sa petite sœur avait disparue !

Il s'apprêtait à sortir pour prévenir ses parents, lorsqu'il vit la baie vitrée entrouverte. N'écoutant que son courage, prêt à vaincre tous les monstres pour défendre sa cadette, le garçonnet s'aventura dans le jardin et y découvrit son père, berçant sa petie sœur, tout en observant le Ginkgo sous lequel il avait trouvé refuge.

— Papa, murmura le petit garçon.

Kishin Akuma baissa la tête et esquissa un sourire à la vue de son fils dont la ressemblance avec Kijin devenait chaque jour, de plus en plus frappante ! Son cœur se serra au souvenir de son petit frère, éternel adolescent, inhumé loin de lui, auprès de la jeune femme dont il était tombé amoureux. Dès son retour au Manoir, Kishin avait fait planter cet arbre pour conserver un lien avec l'esprit de son frère, en nouant une mèche de ses cheveux autour des racines.

  — Tu t'inquiétais pour Aiko ?

Le garçonnet acquiesça avec une certaine gravité avant de s'agenouiller auprès de son père. Il tendit la main et avec douceur, effleura le visage endormi de celle qui était devenue l'un des trésors de son existence. Kishin Akuma observa son fils aîné avant de reporter son attention sur sa fille :

— Je vous protège, toi et Aiko, tu n'as pas à avoir peur, Ryuji.

Son fils s'abstint de répondre que même s'il lui faisait confiance, il ne pouvait s'empêcher d'être terrifié par la « chose » endormie qu'il sentait en lui.

Le petit garçon inclina la tête et enfouit son visage contre le bras de son père. Il ne devait pas avoir peur, se répétait-il pour se donner du courage, ses parents le protégeraient de cette chose. Une feuille se détacha du Ginkgo et vint lui frôler la joue, comme pour le rassurer.

Ce fut l'épouse de Kishin Akuma, fière maîtresse du Manoir Akuma, qui retrouva sa petite famille assoupie face au Ginkgo. Elle houspilla son mari penaud pour son manque de responsabilité paternelle, lui lançant qu'elle regrettait de ne pas pouvoir lui secouer les puces avec un bon séisme, avant de prendre Aiko pour sa tétée, et d'envoyer un Ryuji récalcitrant au bain.

Chii Kamiaku, devenue Chii Akuma, obtint gain de cause lorsqu'elle menaça son fils aîné de ne pas l'autoriser à voyager en compagnie de son père s'il contestait ses ordres une nouvelle fois !

Le garçonnet profita d'un instant d'inattention maternelle pour lui tirer une langue boudeuse, surprise par un Kishin qui lui décrocha un clin d'œil complice, avant de filer dans les jupons de sa nourrice pour un décrassage en régle.

Aiko protestant sans doute contre le départ de son aîné, s'époumonait, réclamant de quoi se sustenter. Chii s'assit sur la terasse et défit son corsage, sous le regard amoureux de son époux, afin de nourrir le deuxième fruit de leur amour.

— Tu es sûr que tout ira bien avec Ryuji ? s'enquit Chii tout en guidant son sein vers la bouche de sa fille. Veux-tu que je t'accompagne ? Nous pourrions laisser Ryuji à Ba-chan.

— Non, je préfère te savoir ici, avec notre fille.

Il s'assit à ses côtés. Chii posa sa main sur la sienne et la pressa avec affection. Elle savait combien ce voyage annuel pesait à son époux. Elle n'avait pas pu l'accompagner lors de son premier pélerinage car elle était enceinte de Ryuji, leur fils surprise.

La découverte de sa grosssesse avait été source de bien des tracas. Après avoir appris la mort de Kijin, Kishin s'était renfermé sur lui-même et avait préféré se terrer dans le Manoir Akuma, abandonnant celle qui deviendrait sa future épouse, car il sentait responsable de cette mort. Il n'avait pas entendu les appels à l'aide de Kijin, préférant le péché de chair à la vie d'un frère : cette nuit-là, cette terrible nuit, tandis que Kijin perdait la vie, Kishin donnait vie à une autre entre les bras de Chii...

La jeune femme avait souffert de cet abandon et avait commencé à dépérir. Comme à chaque fois, Raiu était venu à son aide et Aisu l'avait également soutenue, veillant sur elle et sur l'enfant qu'elle portait. Les deux femmes avaient vécu leurs grossesses en se serrant les coudes, nouant un lien que la distance et les années n'avaient pas su briser.

Après la naissance de Ryuji - Chii avait donné le nom du père de Kishin à son fils -, la jeune femme avait décidé sur un coup de tête de présenter son fils à son père. Elle n'espérait rien et comptait bien l'élever seule !

Après un long voyage en train et deux bonnes heures de marche, Chii avait débarqué au Manoir Akuma. Armée de son franc-parler et de sa force de caractère, elle avait su convaincre les Anciens du clan de la laisser rencontrer leur nouveau Maître. Kishin avait tenté de lutter, refusant de la recevoir, mais avait finalement fini par céder et Chii, en dépit des magouilles des Anciens, était restée.

— Je prendrai soin de notre fils, déclara Kishin en serrant la main de son épouse.

— Je te fais confiance.

Ils échangèrent un sourire. Chii inclina la tête et la déposa contre l'épaule de son époux. Ils avaient déjà, seuls ou ensemble, affronté bien des épreuves. Elle savait qu'elle aurait besoin de toute l'aide de son époux et lui, de la sienne, pour vaincre l'ombre planant sur leur famille.

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MajinaiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant