Malgré le froid et l'heure tardive, Kijin était allongé sur la terrasse, bras croisés sous la nuque. Les yeux perdus dans la contemplation des étoiles, il songeait à Kaze et surtout, à Mizu. La relation de son amie avec son aîné, lui faisait penser à celle qu'il entretenait avec son propre frère. Tous deux avaient été trahis par leur aîné : Kaze avait abandonné sa cadette aux mains de Taiyou, quant à lui, il s'était vu repoussé par son frère. Il comprenait les réactions de Mizu, ce refus d'oublier la trahison.
— Kijin ?
Le jeune homme tourna la tête. Aisu s'installa à ses côtés. Elle alluma une cigarette et exhala une profonde bouffée de tabac. Plusieurs minutes passèrent ainsi, silencieuses, sans que l'un des deux n'ose prendre la parole.
— Alors, que penses-tu de Kaze ?
Kijin haussa les épaules mais ne répondit pas.
— Il est vrai qu'il est un peu excentrique, admit l'écrivain.
— Que lui reproche Mizu au juste ? Elle m'a simplement parlé de trahison, mais je n'ai pas osé lui en demander davantage.
Il se tourna vers l'écrivain et lui adressa un regard des plus grave.
— Pourquoi ne l'aime-t-elle pas ?
— Toi, on peut dire que tu n'y vas pas par quatre chemin ! fit Aisu dans un rire nerveux.
Voyant que son attitude désinvolte risquait de plomber encore davantage cette atmosphère pesante, Aisu se décida à prendre un ton plus raisonnable et adulte. Jamais encore Kijin ne l'avait vue aussi sérieuse !
— Tu sais, reprit-elle, il est assez compliqué pour un maudit d'avoir une vie de famille « normale ». Suna est une exception, ses parents l'ont accepté. La mère de Raiu aussi, considérait son fils comme un être humain à part entière et non comme un monstre. Pour tout t'avouer, j'ai moi-même du mal à me faire comprendre par mes parents. Enfin, ce sont eux qui ne sont jamais parvenus à me comprendre...
Pour la première fois, Kijin vit le regard de la jeune femme se voiler de tristesse. En évoquant ses relations avec ses parents, Aisu sans le vouloir, se replongeait dans ses souvenirs : dès sa naissance, ses parents l'avaient rejetée. Elle n'avait jamais correspondu à l'image qu'ils attendaient d'elle, celle d'une fille de bonne famille ! Enfant, déjà, Aisu s'amusait à braver leur autorité et à s'affranchir des règles parentales. Aujourd'hui encore, elle outrageait leur sacro-sainte morale par sa vie déréglée. Pour eux, elle était une tache, le mouton noir de la famille. Lorsqu'elle se comparait à Shoki, son aînée, la jolie, brillante et casée Shoki, Aisu se sentait pitoyable. Qu'avait-elle fait pour mériter la fierté de ses parents ? Rien. Elle n'avait jamais rien représenté pour eux. Elle n'était qu'Aisu, la petite idiote, la maudite, l'un des jouets favoris de Taiyou.
La jeune femme caressa furtivement son ventre. Ils ne lui avaient jamais pardonné le fait d'être maudite et surtout, la faute qu'elle avait commise il y a de cela trois ans. En refusant de céder à son caprice, celui de le garder auprès d'elle, ils avaient tous piétiné la femme qu'elle était devenue. Taiyou, ses parents, Shoki et même Raiu avaient su résister à ses cris de douleur et à ses pleurs. Sans aucun regret, ils avaient brisé cet unique instant qu'elle et lui avait partagé. Avait-elle seulement entendu son premier cri ? Non. Ils le lui avaient arraché des mains avant même qu'elle ne puisse apercevoir son visage. Ils l'avaient emporté loin d'elle, insensible à ses supplications. Raiu seul, était resté à ses côtés. Elle s'était agrippée à lui, le suppliant de lui ramener ce petit être qu'elle aimait déjà. Il n'avait pas prononcé un seul mot, se contentant d'arborer le visage du médecin. Il avait su soigner son corps meurtri, mais pas son cœur.
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Majinai
Paranormal" Sang maudit. Ta véritable nature. Ta malédiction." Kijin Akuma s'enfuit du manoir familial, les mains couvertes de sang et l'âme maudite. Après une longue errance, il trouve refuge chez Aisu Kamiaku et ses deux jeunes cousines. L'adolescent ne va...