Chapitre 57 : Sablier brisé

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Raiu ramena Suna au Manoir. Il lui décrocha un vague bonsoir avant de se terrer dans son pavillon. Suna lui, prit la direction du petit cottage qu'il partageait avec son père.

Depuis quelques jours, Hayao avait regagné son foyer et attendait avec impatience mêlée à de l'inquiétude, le retour de son fils. Il se tenait prudemment à l'écart de la maison principale depuis son retour, mais il avait toujours une oreille qui traînait et les domestiques étaient loin d'avoir leur langue dans leur poche ! Ainsi, il avait été mis au courant de la petite expédition imprévue de Taiyou dans la demeure de vacances ! Hayao se doutait bien que la venue du Maître allait gâcher le séjour des maudits présents sur place. Le retour tornitruant du Maître, suivi de près par celui de Raiu, ne fit que justifier ses craintes. Dès que Suna franchit la porte d'entrée, Hayao se précipita à la rencontre de son fils unique.

— Suna !

Il le prit par les épaules et le scruta attentivement. Voyant que son fils ne portait nulle trace de blessure, Hayao ne put s'empêcher de pousser un soupir soulagé :

— Il ne t'a rien fait, à Juuki non plus, je présume, sinon tu aurais volé à son secours.

— Juuki va bien, Pa'. C'est à Mizu qu'il a encore...

Le jeune homme, encore choqué par la soirée qu'il venait de vivre, ne put retenir davantage sa colère et fondit en sanglots rageurs.

— Je le hais, ce salaud ! Je le hais !

Un épais sable noirâtre, infesté de petits cafards grouillant, jaillit de son corps et tomba à ses pieds. Hayao le retenait doucement mais fermement par les épaules, le laissant exprimer sa hargne et sa tristesse. Il préférait le voir montrer ses sentiments plutôt que de les enfouir en lui, comme avant. Hayao adorait son fils unique et lorsqu'il l' avait vu se détruire à petit feu, à coups de scarifications et de drogues en tout genre, il n'avait pu le supporter et l'avait éloigné du Manoir, pour son bien. Hayao veillait avec un soin jaloux sur ses deux enfants, ce qui lui avait valu pas mal d'affrontements avec Taiyou et quelques membres de sa famille ! Qu'importe, ses enfants étaient tout à ses yeux !

La colère de Suna s'apaisa et, retrouvant un petit geste qui lui était familier lorsqu'il était enfant, s'accrocha au yukata de son père et se serra contre lui.

— Je l'aime papa. J'aime Juuki et je ne sais pas comment lui faire comprendre. Pourquoi elle ne veut pas de moi ? Parce que je suis maudit ? Mais moi, cette Malédiction, je m'en fous maintenant !  On ne peut pas interdire à quelqu'un d'aimer, pas vrai, papa ? même si ce n'est pas la bonne personne. On ne peut pas dire à une personne d'arrêter de vous aimer...

— Non, tu as raison, on ne peut pas...

Hayao prit le menton de son fils entre ses doigts et l'enveloppa d'un regard protecteur.

— Cet amour prouve que tu n'es pas seulement un maudit mais aussi un être humain, Suna. Mais ça, tu l'as compris depuis quelque temps déjà, je me trompe ? Certains verront ton amour pour Juuki d'un très mauvais œil, sache que je respecte ton choix et que jamais je ne te laisserai tomber, tu m'entends, Suna ? Alors bats-toi pour Juuki, si tu crois que ton amour est assez fort pour résister à toutes les épreuves. Parfois, il faut lutter pour obtenir ce que l'on désire.

L'adolescent acquiesça. Cela faisait bien longtemps qu'il ne s'était pas ainsi confié à son père ! Plus jeune, c'était avec sa mère qu'il échangeait des secrets, son père l'impressionnait quelque peu, mais aujourd'hui, il savait que ce père, qu'il avait détesté au cours des premiers mois qu'il avait passé exilé du Manoir, était prêt à se sacrifier pour lui. Il lui avait prouvé en tenant tête à Taiyou.

— Merci, murmura le jeune homme d'une voix nouée par l'émotion.

Hayao lui ébouriffa les cheveux avec tendresse. Le sourire de Suna disparut, remplacé par une grimace douloureuse. Un gémissement  jaillit de ses lèvres. Une toux s'empara de lui, du sable gicla de sa bouche et glissa le long de son menton. Les mains de l'adolescent se crispèrent sur son ventre gargouillant tandis qu'un feu dévorant lui grignotait les entrailles.

Hayao eut un mouvement de stupeur. Un frisson glacial traversa le corps du jeune maudit et la douleur fut si forte, si insupportable, qu'il en tomba à genoux.

— Papa, gémit-il d'une voix terrifiée entre deux crachats de sable, que m'arrive-t-il ?

Suna observait d'un œil horrifié ce sable qui se répandait tout autour de lui. Il lui semblait que son corps était prêt à tomber en des milliers de petits grains de sable !

— Je vais mourir ? demanda-t-il en levant un regard apeuré, un regard d'enfant, vers son père.

Hayao s'agenouilla face à lui et tenta de le rassurer : il croyait savoir ce qui arrivait à Suna, mais il préférait en être sûr avant de le lui dire.

Tout d'un coup, sous le regard stupéfait du père et du fils, la poitrine de l'adolescent s'ouvrit, comme déchiré par la lame d'un poignard, et un sable épais, nauséabond et noir, coula le long de la plaie avant de glisser au sol. Les grains de sable se collèrent les uns aux autres et se changèrent en un adorable petit fennec endormi. Les oreilles de l'animal se dressèrent, il poussa un bâillement des plus attendrissants avant de bondir sur ses courtes pattes. Il s'approcha de Suna, encore pétrifié par cette curieuse apparition, lui lécha la main, avant de se volatiliser dans un tourbillon de sable. La blessure se résorba, ne lui laissant qu'une fine entaille au niveau du cœur.

Hayao ne put réprimer un sourire soulagé : ainsi, il avait deviné juste. Suna s'était libéré de sa malédiction. Comment ? Il l'ignorait, mais le plus important était que désormais, son fils était un adolescent comme les autres et qu'il n' était plus  soumis à l'autorité du Maître.

— C'est fini, Suna... c'est fini, murmura l'homme tout en caressant les cheveux de son enfant.

Des larmes, de vraies larmes et non des grains de sable, coulaient à présent sur les joues du jeune homme.

— Le kami... il... il est...

— Parti, Suna. Tu es libre.

Suna se réfugia dans les bras de son père et laissa éclater son chagrin. Hayao se mit à le bercer : il comprenait ce que son fils ressentait à cet instant. Suna avait toujours été possédé par le kami, en s'arrachant à cette malédiction, c'était un peu une part de lui-même qu'il laissait s'échapper à jamais.

 Suna avait toujours été possédé par le kami, en s'arrachant à cette malédiction, c'était un peu une part de lui-même qu'il laissait s'échapper à jamais

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Notes et autres blablas:

Et voilà : premier libéré de cette Malédiction, Suna Kamiaku. Il me semblait "logique" de le voir se libérer le premier, car Suna était le Kamiaku le plus "en paix" avec lui-même.
Vous pouvez dès à présent faire vos pronostics pour les prochains. ^^

MajinaiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant