Chapitre 101 : Échec et mat

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D'un pas titubant, le yukata taché de sang, Taiyou regagna précipitamment le Manoir et se réfugia dans la grande salle.

De là où il était, il pouvait assister à l'agonie de son royaume. Les domestiques couraient dans les couloirs, en riant et en commentant les dernières extravagances du Maître : la sortie d'Aisu et de Raiu n'était pas passée inaperçue ! Une réunion d'urgence devait se tenir dans le Manoir d'ici quelques minutes pour savoir si Taiyou était encore capable de diriger le clan.

De l'autre côté du shoji, des bruits de pas et de conversations résonnaient et formaient comme un magna de sentiments dans l'esprit du Maître. Le panneau coulissant s'ouvrit avec fracas et plusieurs membres de la famille se tenaient à présent sur le seuil de la pièce.

— Taiyou-san

Le maître se retourna. Le regard que ses sujets portaient sur lui, avaient changé. Ce n'était plus des regards respectueux, hypocrites ou craintifs, mais des regards assurés et moqueurs. Il pouvait lire dans leurs yeux avides de convoitise, toute le mépris et le dégoût qui leur inspirait.

Chacun des hommes présents face à lui, n'espérait plus qu'une chose : prendre sa place et régner sur le clan. Cet acte était celui de trop : on lui avait pardonné ses autres incartades, ses autres coups de folie... mais pas celui-ci ! Raiu était respecté et admiré par la plupart des membres de la famille Kamiaku. Beaucoup espéraient voir le jeune frère prendre la place de l'aîné. Sans compter que Raiu était libre à présent... alors que Taiyou lui, restait encore le pantin du kami solaire.

— Nous tenons à vous informer que le conseil de famille se réunira d'ici peu, reprit l'homme. Nous devons décider de votre maintien ou non, à la tête du clan. Vous avez plutôt intérêt à préparer une défense solide.

Ce furent sur ces dernière paroles et quelques ricanements que le lourd panneau de bois se referma sur les hommes Kamiaku, laissant Taiyou seul. Seul avec lui-même et ses souvenirs.

Des larmes rageuses jaillirent de ses yeux de fauve. Il poussa un mugissement vengeur avant d'abattre ses poings sur la baie vitrée. Il griffa le verre avec fureur, ses ongles se colorèrent de sang... Qu'importe la douleur physique ! Celle qu'il ressentait à l'intérieur de lui était beaucoup plus foudroyante !

Sans qu'il ne puisse les retenir, les souvenirs de ses maudites et des femmes dont il avait si honteusement abusées l'assaillirent. Il entendit les sanglots muets de Mizu, il revit le regard éteint de Chii, il supporta de nouveau, les cris de Mori, il sentit le parfum d'Aisu lui envahir les sens. Le visage de ses maudits ne formaient plus qu'une seule et même visage le fixant d'un œil accusateur et empli de haine.

Il secoua la tête pour y échapper et ce visage fut remplacé par celui de Raiu, le bâtard, ce demi-frère qu'il haïssait depuis sa naissance ! Ce sang-mêlé que son père aimait plus que lui, ce maudit beaucoup plus respecté que lui par les membres du clan. Cette immonde pourriture qui lui avait tout volé : les traits de leur géniteur, l'amour d'Aisu et bientôt, sa place de chef ! Oui, Taiyou Kamiaku avait toujours jalousé Raiu, parce qu'il possédait tout ce que lui, convoitait... sans jamais pouvoir l'obtenir ! Cette image enviée et haïe, se changea en une autre figure, beaucoup plus menaçante et lointaine, venant de jaillir d'outre-tombe..

Taiyou se détacha de la baie vitrée et se recula de quelques pas. Un long frisson d'effroi lui grimpa l'échine. Face à lui, se tenait Kumiko. Non pas la timide et candide Kumiko qu'il avait épousée et dont il avait abusée férocement le soir de leurs noces. Non, il s'agissait de la Kumiko qui lui avait tenu tête lors de cette nuit hivernale. Une nuit pareille à celle-ci... Son visage portait encore les stigmates des coups qu'il lui avait infligés et son regard brillait de la même étincelle haineuse qu'elle avait posé sur lui en rendant son dernier souffle.

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