Chapitre 55 : Enchaînés (3)

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Dans le jardin de la demeure secondaire, Tsuki Kamiaku observait la violente lutte opposant les éclairs et les rayons solaires dans le ciel obscur. Dans sa main droite, il tenait une rose blanche, sa fleur favorite, dont il arrachait les pétales, une mystérieuse comptine au bord des lèvres.

— Tsuki, murmura une voix d'homme dans la pénombre.

L'adolescent cessa son curieux manège. Assis à ses côtés se tenait un jeune homme au visage anguleux dans lequel étincelaient des yeux couleur de pierre. Il ne portait en guise de vêtements, qu'une chemise au col débraillé et un pantalon froissé. Tsuki se redressa. L'homme se pencha vers lui et remit en place le col baillant du kimono.

— Tu vas attraper froid, chuchota le mystérieux homme tout en remettant les trois petits boutons du vêtement.

— Ishi, fit la créature tout en repoussant les doigts de son cou, cesse donc de te faire du souci pour moi !

Un éclat de tristesse traversa le regard gris du dénommé Ishi. Comme pour se faire pardonner ses paroles, la créature se mit à genoux et déposa un timide baiser au coin des lèvres de l'homme. Il lui donna la rose aux pétales arrachés avant de se lever.

La créature épousseta son vêtement froissé et couvert d'herbe, passa une main tremblante dans sa tignasse hirsute avant de couler un regard autoritaire à son compagnon.

— Je vais me promener sur la plage, déclara-t-il tout en commençant à s'éloigner de son pas chaloupé. Inutile de m'y accompagner, j'ai envie d'un peu de solitude...

Avant que la créature ne disparaisse entre les buissons, elle se retourna vers un Ishi quelque peu inquiet, un sourire machiavélique accroché à ses lèvres bleuies par le froid.

— À propos, ne préviens pas le Maître de ma petite escapade. Tu sais qu'il déteste être dérangé lorsqu'il s'occupe d'affaires personnelles...

Ishi ne répondit pas. La créature lui adressa un dernier salut avant de disparaître dans la nuit. Longtemps, le regard gris de Ishi Kamiaku resta fixé sur cette petite rose qu'il tenait entre ses doigts avant qu'il ne l'écrase d'un geste rageur.

♠♠♠

À l'intérieur de la propriété, Aisu Kamiaku se trouvait devant la porte de la chambre de ses deux cousines. La main posée sur la poignée, elle ne pouvait maîtriser les larmes de glace glissant sur ses joues. Elle prit une profonde inspiration et tenta de rendre son regard aussi dur que le kami qu'elle abritait dans son corps. Elle devait être forte, ne pas montrer ses faiblesses à Taiyou qui, s'il découvrait l'une de ses failles, n'hésiterait pas à s'en servir pour la rendre aussi docile que toutes celles dont il avait si outrageusement abusées.

— Aisu.

Elle se retourna. Kaze, le visage en sang et le regard éteint lui faisait face. Il tendit la main et ôta les doigts de son amie de la porte.

— Mizu est ma sœur et c'est à moi d'aller la chercher.

— Mais...

Pour la première fois depuis bien longtemps, Aisu comprit que Kaze était sérieux. Jamais encore elle ne l'avait si grave ! Elle ne le reconnaissait pas. Le ton de sa voix la fit fléchir et elle s'écarta de la porte.

Kaze poussa un profond soupir, tourna la poignée, mais avant de pénétrer dans la chambre des deux adolescentes, il coula un dernier regard malheureux à sa meilleure amie.

— Elle va sans doute me détester après ça... Promets-moi de la protéger car moi, elle ne voudra plus m'adresser la parole...

Aisu acquiesça. Elle voulut ajouter quelque chose, un mot de réconfort, un encouragement, même un remerciement, mais les mots se bloquèrent dans sa gorge et elle ne put proférer le moindre son.

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