Majinai

Chapitre 94 : L'Amour d'un enfant (1)

Aisu Kamiaku s'était réveillée bien avant que les premiers rayons de soleil ne viennent réchauffer ce matin d'hiver. Simplement vêtue d'une longue chemise d'homme, qui laissait deviner ses premières courbes de future mère, elle était assise sur la terrasse enneigée et laissait ses pensées s'égrener au rythme des fins cristaux de neige tombant au sol. Elle songeait à sa vie d'avant l'arrivée de Kijin. Il y avait un an de cela, Raiu et elle ne se parlaient plus, Juuki et Mizu n'étaient encore que des enfants. Aujourd'hui, tant de choses avaient changé : Juuki avait retrouvé Suna et était retournée vivre chez Hayao ; Mizu avait gagné en assurance et allait bientôt découvrir la vie trépidante de Tokyo en compagnie de Kaze. Quant à elle, Aisu... elle s'apprêtait à devenir mère pour la seconde fois ! Cette fois-ci, cette maternité serait différente : ce petit être qui vivait en elle, ne serait pas l'enfant de la vengeance mais celui de l'amour.

Tout semblait aller pour le mieux de son existence et dans celle de ceux qui lui étaient chers. Alors pourquoi ? Pourquoi éprouvait-elle ce curieux sentiment de tristesse mêlé de crainte ? De quoi avait-elle peur ? De l'avenir ? Ou alors, pressentait-elle la venue d'un événement terrifiant qui allait, une fois encore, bouleverser le cours de leurs vies ? N'avaient-ils pas enfin le droit d'être heureux ? Quel mauvais tour, le Destin s'apprêtait-il à leur jouer ?

La jeune femme secoua la tête pour chasser ses sombres pensées. Pour se rassurer, elle passa sa main à travers les pans de sa chemise et la posa sur son ventre légèrement rebondi. Désormais deux êtres vivaient en elle et la protégeaient. Son kami qui l'accompagnait depuis sa naissance et dont la présence, toujours discrète et sereine, avait apaisé bien ses chagrins d'enfant et de femme ; et ce petit être humain fait de son sang uni à celui de Raiu. Leur enfant.

Un sourire illumina les lèvres bleuies par le froid de la maudite. Leur enfant. Elle se répéta ces deux mots plusieurs fois, comme si elle s'en délectait. Leur enfant. Leur bébé à elle et Raiu ! Elle avait l'impression que ce petit bout d'homme (ou de femme !) rendait réel tous les rêves insensés de son enfance ! Plus jeune, elle se voyait mariée à Raiu, entourée de leurs enfants. Dans ces moments de rêveries les plus délirants, elle s'imaginait même en mère de famille pas très organisée, qui élevait avec amour toute une horde de petits monstres aux yeux couleur de foudre et de petites ogresses encore plus jolies qu'elle ! Et tout cela, sous le regard bienveillant d'une paire de labradors ou de dalmatiens, d'une dizaine de chats et tout une ménagerie composée de lapins, hamsters, perruches et poissons rouges.

Aisu éclata de rire et reporta son attention sur son ventre. À quoi pourrait bien donc ressembler ce premier enfant ? Une fille, un garçon ? Qu'importe ! Elle le voulait aussi beau et doux que Raiu, mais un peu moins bonne pâte pour ne pas se laisser mener par le bout du nez ! Cet enfant prendrait le meilleur d'eux. Quel nom pourrait-elle lui donner à ce petit bout de chou ? Pour un garçon, le choix était tout trouvé : il serait Jin. Le diminutif de celui qui avait apporté un vent de libération dans leurs vies empoisonnées par la malédiction. Mais pour une fille ? Plus jeune, Aisu s'était identifiée à l' héroïne d'un roman prénommée Jun et ce personnage l'avait tellement fascinée qu'elle s'était jurée que sa fille plus tard, porterait ce nom ! Sa déclaration avait fait sourire Kaze et Raiu... qui s'étaient ensuite chicanés pour savoir qui serait l'heureux parrain de la petite Jun ! Ils avaient passé un accord : Raiu en serait le parrain et Kaze lui, ne voyait aucun inconvénient à en devenir la marraine !

La jeune femme redressa la tête : sa décision était prise. Elle allait, et de ce pas, tout avouer à Raiu, après advienne que pourra ! L'écrivain se redressa et s'apprêtait à rentrer chez elle pour se préparer, lorsqu'une ombre se dressa face à elle.