Doppelgänger

Chapitre 53

Vildred m'avait réveillée à cinq heure du matin.

Gardant volontairement le mystère de l'endroit où il avait décidé de m'emmener à l'aube, il me presse un peu.

Les matinées étant un peu fraîches à La Nouvelle Orléans en ce mois de décembre, j'enfile un gros sweat, prend quelques affaires habituelles et nous voilà partis en voiture, en direction d'une destination inconnue.

Vildred adore ça, laisser continuellement planer un mystère autour de lui. C'est souvent déroutant mais d'autant plus excitant. Il me réserve toujours des surprises inattendues, me sortant de ma zone de confort.

Mais, quelles sont ses limites?

En a-t-on vraiment quand on ne ressent pas d'émotion, quand la peur n'est pas là pour vous freiner? 

Vildred est un mystère à lui tout seul, ses pensées et sa manière de réfléchir encore plus. Imprévisible, imprédictible, dissonant complètement du système....

Je l'observe, une main sur son volant, un regard toujours autant déroutant car dénué de tout signe d'émotion, concentré sur la longue route qui nous mène tout droit vers la sortie de la ville. Je me demande comment s'organise ses pensées dans sa tête, quelles sont ses modes opératoires cognitifs, avec quelle intensité il peut vivre les événements, dans une telle dissidence, à quel point sa non conformité le tient à l'écart des normes sociales.

Il n'y a que l'argent et le pouvoir qui le tiennent dans les rangs. Sans ça, il suivrait ses propres lois, dans un antagonisme des plus profonds face à la moralité et à la dissociation du bien et du mal. Ses pensées sont régies par un pragmatisme déconcertant, ne faisant de distinction qu'entre les forts et les faibles, ceux qui suivent leur esprit et ceux qui se laissent dominer par leurs émotions. C'est ce qui fait de Vildred le Surnaturel le plus incroyable, dans tous les sens du terme soit-il, de l'Enclave.

Le soleil n'est pas encore levé mais quelques rayons dressent devant nous un halo de couleur rougeâtre encore que faiblement lumineux. Plus on s'éloigne de la ville, plus le paysage devient rural. Des grandes plaines desséchées encadrent la route bien droite qui semble se perdre à l'horizon.

J'ai toujours rêvé de faire un road trip, de rouler jour et nuit guidé par la lumière du soleil et des astres, en quête de sens et de sensations fortes, bercée par de longs morceaux envoûtants de country. Moi qui ait toujours vécu en pleine ville, j'ai toujours secrètement rêvé de grands espaces.

Qu'est-ce que la campagne est sous-cotée...

— Donc, on peut être deux espèces surnaturelles à la fois? Je demande alors en brisant le silence.

— Tu parles de Hastein Œil Solitaire? Devine le Chasseur, sans détourner ses yeux violets de la route, mentionnant le Surnaturel qui a disparu en même temps que Bella.

— Mmmh.

— Hastein est né d'un père loup-garou et d'une mère sorcière. Sa malédiction n'étant pas encore déclenchée, il a vécu la première partie de sa vie en tant que sorcier, avec sa mère. Il n'a jamais eu de contact avec sa meute, mais il a toujours voulu être un loup-garou. A dix-huit ans, il a lui-même activé sa malédiction en tuant de sang-froid un humain. Il a été incarcéré par l'Enclave durant dix ans avant de sortir et d'intégrer nos rangs et de se repentir. Hastein est un loup-garou solitaire et il l'est l'un des plus entraînés et des plus craints. C'était un fidèle soldat, déclare Vildred sans émotion dans la voix.

— Qu'est-ce qu'il est arrivé à ses pouvoirs quand il a transitionné?

— Il les a perdu. Quand tu enclenches une malédiction, que ce soit le vampirisme ou la lycantropie, tu perds ton identité surnaturelle antérieure, si tu n'étais pas un humain à la base.