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Nauséeuse.

Je me sens nauséeuse en voyant les survivants de la guerre. Les soldats, toujours dans leurs uniformes, gémissent de douleur et me réclament. La guérisseuse du village. Certains d'entre eux savent dans quelles conditions ils sont, alors tous ce qu'ils ont à me dire est d'informer leurs proches. Leur dire qu'ils les aiment, leur mentir qu'ils ont eu une mort sans douleur.

Malgré les nombreuses années, voir ce genre de choses n'est jamais facile. Ils disent que voir la mort chaque jour m'habituera, durcira mon cœur, mais c'est le contraire qui se passe. Je me retrouve à pleurer, seule, dès lors que je passe le pas de ma porte. La plupart du temps, je reste avec les mourants, pour les accompagner jusqu'à leur dernier moment. Qu'ils ne meurent pas seuls. Je leur dois au moins cela.

Ce serait terriblement plus simple de dire au Roi de signer un accord de paix et cesser cette guerre, mais ce n'est jamais aussi simple. Surtout lorsque la fierté et l'honneur d'un homme se mêle au combat.

- Aeryn, viens vite ! Une dizaine de blessés viennent d'arriver.

Je cours, suivant mon amie, Eliza. Elle aussi est une infirmière. Je m'approche des blessés qui viennent d'être posés dans leur lit. Je les regarde un par un, et l'envie de vomir me prend lorsque je vois l'un d'entre eux totalement défiguré.

Je m'approche de lui, ses yeux sont à peine ouverts. Je prends une grande inspiration avant de poser mes mains sur son torse en sang. Je sens chaque os brisé, chaque peau déchiré, chaque organe touché. Mes doigts s'enfoncent un peu plus dans sa chair, espérant ressentir son âme intact.

Réveille-toi, lui dis-je, réveille-toi pour que je puisse te guérir.

Mais je ne sens rien. Son âme est sur le bord, contemplant la lumière qui l'attend. L'homme, lui, n'exprime aucune douleur. Il a perdu trop de sang. Beaucoup trop de sang. Et son corps est trop abîmé pour être réparé. Je tourne alors la tête vers Eliza, qui me regarde avec tristesse.

- Cela ne fonctionne pas ? Me demande-t-elle.

Je tente de ravaler les larmes qui menacent de couler, je n'ai pas réussis. J'ai lamentablement échouée.

La seule raison pour laquelle je suis infirmière est à cause de mon don. J'aime sauver et guérir les gens, mais voir ces horreurs de la guerre, côtoyer la mort chaque jour ne m'est pas plaisant. Ce que tout le monde sait, ce que mon père leur a dit, est que j'ai le don de guérison.

Mais la vérité n'est pas que cela. Je peux guérir, oui, mais pas seulement. Je peux entrer en contact avec l'âme des gens, la convaincre de ne pas aller de l'autre côté, réparer les corps, refermer les blessures et guérir entièrement des maladies, aussi physiques que mentales.

Parfois, mon don n'est pas assez. Et s'il ne fonctionne pas, alors tous autour de moi comprennent la gravité de la situation.

- Non ! Non, Samael ! Sauvez-le, je vous en supplie !

Eliza arrête la femme qui venait d'entrer, elle pleurait et criait en regardant l'homme à mes côtés. L'homme que je n'ai pas pu sauver. Mais la force d'Eliza n'est pas assez pour la retenir. Je tente de cacher au mieux le visage de l'homme mais elle le voit. Elle le voit et hurle.

- Vous devez partir d'ici... lui dis-je doucement.

- Vous... Dit-elle en me regardant, vous êtes la guérisseuse !

Et elle prend ma main dans la sienne, en me suppliant de l'aider. Je ne réagis pas. Je la fixe seulement. Elle tombe à genoux face à moi, toujours en tenant mon bras.

- Je vous en supplie, sauvez-le ! Pleure-t-elle. Sauvez mon fiancé, je vous en supplie !

Mes yeux se remplissent de larmes. Je supplie Eliza du regard de l'éloigner. Si je m'effondre maintenant, je ne pourrai pas sauver les autres... je dois rester concentrée malgré la douleur.

Et Eliza, avec difficultés, réussis à éloigner la femme. Lorsque je suis certaine de son départ, je pose le drap blanc sur le visage de l'homme. Et je vois, malgré moi, ce qui a permis à la femme de le reconnaître. Sa main dépassait du lit avec une bague à la main. Pas une alliance. Une bague en argent.

Je prends une grande inspiration avant de me diriger vers les autres hommes, qui sont un peu plus conscient. Je m'approche de celui qui est le plus mal en point de tous, puis sans attendre, je pose mes mains sur mon torse et procède de la même façon que l'homme précédent. Simplement, lui est conscient et son corps n'est pas si abîmé que cela.

Je me concentrais sur l'image que me renvoyait l'intérieur du corps de l'homme, et reparaît petit à petit ce qui a été brisé, lorsque la voix de l'homme m'interrompt :

- Je suis le plus jeune d'entre eux, dit-il d'une voix faible, alors il m'a sauvé la vie.

Je lève la tête vers lui, il avait des larmes que je n'avais pas remarqué. L'homme décédé s'est alors sacrifié pour un inconnu... ‏je me demande comment une personne peut vivre avec cela sur la conscience. C'est si dur.

- Je ne mérite pas d'être guéris.

- Dieu a décidé que ce n'était pas ton heure de Le rejoindre, soldat. Lui répondis-je.

- Mais lui, si...

J'essaie de ne pas montrer que ses paroles m'affectent. Que ce soir, je pleurerais encore, alors que ses mots résonneront dans mon esprit.

- Quel âge as-tu ? Lui demandé-je.

- Dix-neuf ans.

Dix-neuf. C'est si jeune. Si tôt. Il n'aurait pas dû prendre les armes. Pas maintenant.

- J'ai bientôt finis. Le prévené-je. Les autres infirmières vont te contrôler tout de même et te mettre sous calmant.

- Est-ce que... est-ce que je pourrais participer à son enterrement ? Me demande-t-il. Demain.

- Oui, mais tente de ne pas faire de mouvements brusques et repose-toi bien ensuite. Lui dis-je. Demande tout de même à la famille si tu le peux, d'accord ?

Il hoche la tête puis je retire mes mains. Je lui souhaite bon rétablissement avant de passer au suivant. Et à chacun d'entre eux, je remarque leur affreux silence et leurs yeux vides. Même si je me plains de ce que je vois, eux sont les témoins directs de ces horreurs. Je n'imagine pas les images avec lesquels ils doivent vivre.

Nous n'avons plus qu'une chose à faire ; prier que cette guerre se termine rapidement.

La Légende du Soleil et de la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant