La Légende du Soleil et de la Lune

43.

Deux jours sont passés depuis ce dîner, je ne sors plus de ma chambre sauf lors des repas avec le roi. La mort ne veut pas quitter mon esprit depuis, et je n'ai jamais été autant malheureuse pour penser constamment à mourir. Je la planifie, comme si je planifiais des vacances. Quoique... C'est une sorte de vacances pour moi, je vais enfin me reposer de cette vie.

J'ai pu échapper des désirs tordus d'Adriel une fois, mais je n'y échapperais plus après que je signerais ce contrat de mariage. Je ne suis pas aussi forte pour survivre à un viol.

Mon don de guérison ne sera pas assez, cette fois.

Je relis cette lettre, encore et encore, à l'attention d'Eliza. Ma chère amie. La seule personne qui m'a montré de l'amour dans ce monde. Je lui suis si reconnaissante de l'avoir eu à mes côtés pendant toutes ces années, elle et son frère.

Malgré moi, quelques larmes coulent sur le papier. Avant de l'inonder, je décide de ranger la lettre dans une enveloppe et la mettre de côté. J'appelle Safiya jusqu'à ma chambre. Elle arrive rapidement, me regardant avec inquiétude.

- Safiya, je voudrais que tu donnes cette lettre à mon amie. Lui dis-je doucement. Adriel ne veut pas, alors j'aimerais que tu me fasses cette faveur... si cela ne te déranges pas, donne la lui demain.

- Bien-sûr, ma Dame, mais vous allez bien ? Me demande-t-elle. Je pensais que vous seriez plus heureuse avec l'annonce de mariage...

Je force un sourire pour la rassurer, cachant ce que je ressens réellement.

- Je le suis, je me sens simplement stressée.

Elle acquiesce, à moitié convaincue. Elle prend la lettre de mes mains, et s'en va. Une fois partie, je m'approche de la porte et la ferme à clé. Je me tourne ensuite et m'approche du balcon. Je me laisse tomber sur le sol, puis je mets le front dessus. Je pose chacune de mes mains sur chaque côté de ma tête, puis ferme les yeux et laisse mes larmes couler.

Mon Dieu,

En Ta présence je me tiens, une âme en détresse. Tu me vois et Tu m'entends. Tu sais ce que cache mon cœur, un cœur qui se taira bientôt.

Je me relève de ma prosternation et m'approche à pas lent du balcon.

Pardonne-moi d'avoir abandonné. Je n'ai jamais mérité le cadeau que Tu m'as donné... je ne suis pas forte, je ne suis pas puissante. Sinon... auraient-ils osés me tourmenter ainsi ?

Le soleil s'est couché depuis longtemps. Il n'y a que la lune qui est présente, comme si elle voulait me tenir compagnie pour la dernière fois. Ce sont sous ses yeux qu'une âme quittera ce monde.

Mon Seigneur, aucun d'entre eux n'est aussi miséricordieux que Toi. Ces Hommes sont si cruels... et c'est pour cette raison que je désire ardemment être à Tes côtés. Plus aucune souffrance, aucune douleur.
Mon Dieu, vas-Tu m'accueillir si je n'attends pas l'ange de la mort ? Mon Dieu... c'est Ton amour dont mon cœur a besoin, pour trouver apaisement lors de ses derniers instants... je T'en prie.

Je regarde ce qu'il y a sous mon balcon... du vide. Ma chambre est très haute. Si je tombe, tête première, je ne pense pas pouvoir survivre. Je monte alors sur le rebord et m'assois dessus, rien que pour m'habituer au vide et me sentir familière avec l'air de ce soir.

Alors que mes jambes oscillent dans le vide, une légère brise nocturne caresse mon visage, m'offrant un frisson de liberté. Les étoiles scintillent au-dessus de moi, semblant murmurer des secrets dans l'obscurité.

Un mélange de peur et de sérénité se propage en moi, tandis que mes pensées s'entrelacent avec les battements de mon cœur. Les souvenirs de ma vie se déroulent devant mes yeux, rapidement et fluidement.

J'aurais aimé dire à mon père un dernier au revoir. Même s'il est le responsable de ce qui m'arrive, qu'il a échoué dans son rôle de père, qu'il n'a pas protégé sa fille, j'aurais aimé le voir une dernière fois. Si j'avais su ce qu'il allait arriver, j'aurais préféré ses coups.

Je finis par prendre mon courage à deux mains, et à me lever sur le rebord. Il n'y a plus de vertige, ni de peur du vide, je me sens étrangement apaisée, comme si le néant sous mes pieds était prêt à m'accueillir.

- Je suis prête...

Je ferme les yeux, laissant le silence envelopper mes pensées. Mais alors que je suis sur le point de franchir ce seuil entre la vie et l'au-delà, une voix grave m'interpelle.

- Que vois-je donc...

Le prince Kaelan. Il est là. Je me retourne légèrement, surprise. Je croyais avoir fermée la porte à clé...

- C'est donc cela, ta solution ? Me demande-t-il.

Je ravale mes larmes. C'est cela, ma solution.

- Si faible...

Je le suis du regard pour m'assurer qu'il ne tente pas de me sauver. Il ne sait pas ce qui m'arrivera si je ne saute pas maintenant. Je suis faible, je le sais, et je n'y peux rien. Si seulement je pouvais ne pas l'être.

- Je n'en peux plus, dis-je faiblement, je veux mourir.

- Non, tu ne le veux pas. Sinon, tu aurais déjà sauté. Dit-il en haussant des épaules. Tu veux vivre, mais tu n'as trouvé d'autres choix que la mort. Ai-je tort ?

Non... Non, il n'a pas tort. Il a raison, je veux vivre, aimer, être heureuse, mais cela me semble impossible. Cette envie de vivre ne sera que temporaire, car son frère la détruira sans remords.

- Si tu veux mourir, il te faudrait mieux engager un tueur à gages pour te tuer. 

- ... N'est-ce pas la même fin ?

- Non. Si tu es tué, tes proches chercheront la vengeance pour être apaisé. Si tu te tues, auprès de qui chercheront-ils la vengeance ? Ils se sentiront tous coupable de ne pas avoir pu t'aider, alors qu'être tué est imprévisible et surtout, non choisis.

Je baisse le regard sur le vide face à moi, ce vide qui semble m'appeler. Une personne normale m'aurait supplié de ne pas me jeter, mais je suppose que ce que fait le prince est déjà mieux que rien. Adriel, lui, m'aurait poussé lui-même.

Je ferme les yeux, laissant mes larmes couler. Je devrais cesser de réfléchir et sauter... J'étais prête à le faire, avant l'apparition du prince. A cause de lui, j'ai des doutes et des hésitations. Je cherche des solutions pour échapper à ce mariage, mais en vain.

- Feras-tu le choix égoïste... ?