4.

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Avant que le prince ne quitte le bureau de mon chef, je me suis excusée et suis rentrée plus tôt chez moi. Il n'y a pas de personne gravement blessée, de toute façon, ils peuvent continuer sans moi. Je devais simplement partir pour diminuer mes interactions avec le prince, il pourrait comprendre ce qu'il n'a pas vu auparavant.

- Aeryn ? Tu es rentrée plus tôt.

Après avoir enlevé mes chaussures, je vois mon père.

- Toi aussi. Rétorqué-je. Tout va bien ?

- Tout le palais te cherche.

Je fronce les sourcils. Moi ? Mon père s'assoit, et je le suis. La situation doit être terrible, à en croire le ton de sa voix et l'expression grave sur son visage.

- La maladie du roi s'est aggravée. Il a ordonné à tous, soldats et serviteurs, de chercher la guérisseuse. Dit-il doucement. Il te cherche, ma fille. Et je crains qu'ils te trouvent bientôt.

Je baisse la tête lentement. Cela devait arriver un jour ou un autre. Mais je ne pensais pas si tôt. Pas maintenant. Je ne suis pas prête. Pas prête d'être emmenée au palais, gardée dans une cage en or pour être la guérisseuse personnelle du roi.

Et même si la réputation de son fils héritier est terrible, la réputation du roi est mille fois plus pire. Il n'a aucune merci. Combien de servantes sont entrés dans ce palais vivantes, et en sont sortis décédées ? Personne ne sait ce qui se passe derrière les murs du palais.

- Il n'y a pas de moyens pour que je perde ce don, papa ? Dis-je doucement. Il nous met en danger, cela n'en vaut pas la peine.

- Non ! S'exclame-t-il. Non... sans ce don, tu... enfin, il fait partie de toi. Nous n'avons pas le choix. Lorsque le roi nous trouvera, nous devrons lui obéir.

- C'est tout ? Dis-je en me levant. Juste lui obéir ? Quand il utilisera tout mon don, et qu'il ne restera plus de moi que mon cadavre... on devra lui obéir, aussi ?!

Mon père ne répond pas. Il reste silencieux. Je ne comprends pas si sa volonté est de me protéger, ou de se protéger. Dans les contes et les plus belles histoires, les pères se sacrifient pour leurs enfants. Le mien me jettera-t-il dans la gueule du loup pour que sa vie soit épargnée ?

Il a fait la même chose avec maman.

Je ne dis rien de plus et monte dans ma chambre. Je ferme la porte derrière moi, toujours en colère, et m'assois sur mon bureau. Je prends mon cahier de croquis, et mes crayons. Il n'y a que le dessin qui pourra calmer mes nerfs. Sans même réfléchir à quoi dessiner, je laisse ma main me guider.

Des ronds, des lignes, des rayures. Au départ, cela ne ressemble à rien. Mais au fur et à mesure, le dessin prend vie. Une femme. Un homme. Une tempête. L'homme se bat pour monter dans le bateau vide, sans aider la femme. Il pense à lui, d'abord.

Et c'est comme si je voyais la scène se passer devant mes yeux. Cette précision rend mes dessins plus réelle. Plus vivant. Comme si je prenais réellement une photo du moment. Qu'il est resté figé dans le temps.

Et l'homme monte sur le bateau. Une fois qu'il se sent en sécurité, il tend la main à la femme, mais trop tard. L'océan l'emporte. Elle se retrouve submergée par l'eau. Il n'y a plus d'air. Plus de solutions. Elle tente de relever la tête mais n'y arrive pas. Et ce bateau qui représentait une infime chance de survie pour elle est devenue si lointain.

Cet homme lui a volé cette chance.

Cet homme est mon père. Cette femme, ma mère.

Je pose mon crayon. La violence de la scène fait trembler mes mains. Jusqu'à aujourd'hui, je n'ai jamais osé dessiner ce moment... je l'ai toujours gardé avec des mots, rien que pour me rassurer. Ne pas être témoin de ces images m'ont permis de pardonner mon père plus facilement.

Mais ma colère m'a fait oublier la promesse que je me suis faite. J'ai dessiné la mort de maman. Et au fur et à mesure que mes mains complétaient le dessin, je sentais chaque émotion. Je sentais l'air me devenir interdit, je sens l'eau pénétrer mes poumons, jusqu'à ce qu'ils explosent.

Je ferme les yeux rapidement, reprenant mon souffle et permettant à mes larmes de rouler le long de mes joues. Elle me manque terriblement. Je n'ai pas eu assez d'elle. Je n'ai pas pu profiter de sa présence. J'avais à peine trois mois, quand elle est partie en voyage avec papa pour chercher des réponses sur mon don.

Ni elle ni son cadavre ne sont revenus de ce voyage.

Je soupire, puis me lève. Je ne dois pas torturer mon cœur et mon esprit juste pour mon père. Je ne dois pas m'effondrer. Au contraire, je dois être plus forte que jamais. Si papa ne m'aime pas assez pour penser à ma vie... moi, je l'aime assez pour penser à la sienne. Tant que je vivrais, je ne permettrais à personne de me le prendre. Personne. Pas même le roi.

Je m'approche de ma fenêtre pour prendre l'air frais tout en profitant de la vue du soleil qui se couche. Je tire le rideau sur le côté, mais je vois au loin une ombre. Un homme. Brun, et bien habillé. Je fronce les sourcils, et mon cœur rate un battement lorsque je réalise que c'est le prince Adriel.

Je cligne des yeux une fois.

Et il n'est plus là.

J'ouvre ma fenêtre et sors ma tête à l'extérieur, puis regarde aux alentours.

- Votre Altesse ? L'appelé-je.

Aucune réponse. Et il n'est pas dans mon champ de vision. Je rentre de nouveau ma tête, perturbée. Ce n'est pas une hallucination. J'en suis certaine. C'était bel et bien le prince. Ou peut-être pas ? Ai-je halluciné ? Non... je ne suis pas fatiguée à ce point. Ou... ou c'était peut-être un autre homme. Un homme qui lui ressemble.

Je ferme alors la fenêtre, et mes rideaux. Si un homme est réellement à l'extérieur...

Mon Dieu, je préfère ne pas y penser.

Ce soir, je sens que je ne pourrais pas dormir...

La Légende du Soleil et de la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant