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Le lendemain, alors que j'entre dans la salle à manger pour le petit-déjeuner, je sens que tous les regards se tournent vers moi. Surtout les siens. Et c'est surtout son regard que j'essaie d'éviter. J'ai passé toute la nuit à penser à notre baiser. J'ai réagi de façon excessive, je le sais, et je le regrette. Mais ce que je regrette le plus, c'est de l'avoir comme beau-frère.

Je ne veux pas qu'il soit mon beau-frère.

Techniquement, il ne l'est pas jusqu'à ce que je me marie. Et je n'ai pas l'intention de me marier. Comme je n'ai pas l'intention de rester ici. Si je ne lui montre pas un côté fort et froid après cette... erreur, il sera blessé. Et moi aussi. Je le trahirai, je l'abandonnerai, et rien ne pourra me retenir.

Je m'assois en silence près d'Adriel. Il se penche vers moi tout en gardant le contact visuel avec son frère. J'ai l'impression qu'Adriel sait que son frère veut me voler, et qu'il peut y parvenir s'il le veut. Mais je prie pour qu'il ne soit pas au courant de nos précédentes rencontres secrètes et de ce baiser.

- Le général est donc mort ? Demande le roi, rompant le silence.

- Il l'est, répond le prince Kaelan, c'était un homme si stupide.

- En effet, il l'était. Comment a-t-il pu essayer de tuer mon fils ?

Je n'ai pas besoin de regarder le prince pour savoir qu'il n'y croit pas. C'est presque comique. Un père est assez cruel pour essayer de tuer son propre fils avec l'aide de son autre fils, et il n'a même pas le courage d'admettre ses actes.

Je crois que c'est moi qui le comprends le mieux. Mon père m'a battu presque à mort, et je pense que ma mort ne le dérangerait pas tant que ça. Aucun d'entre eux n'y verrait vraiment d'inconvénient. C'est comme si nous n'avions jamais été leurs propres enfants. Et après tant de temps, nous n'avons toujours pas de réponse à la question de savoir pourquoi ils nous haïssent tant. Que leur avons-nous fait ?

- Et qu'allons-nous faire maintenant ? Demande le roi.

- J'ai nommé un nouveau général, répond le prince Kaelan, un homme jeune et courageux. Je suis sûr qu'il ne nous décevra pas.

Son père semble mécontent. Si ce général a tenté de tuer le prince avec l'approbation d'Adriel et du roi, cela signifie qu'il était contre l'héritier. Et maintenant, le prince a dû nommer un homme loyal envers lui, et non envers son père ou son frère. C'est ma supposition.

- Quoi qu'il en soit, j'ai amené mon puma avec moi, et il est blessé. Comme ma chère belle-sœur a été infirmière dans le passé, puis-je demander à Adriel si elle peut venir le soigner ? Demande-t-il au roi.

- Elle ne peut pas, dit Adriel. Elle a soigné des humains, pas des animaux. N'est-ce pas, Aeryn ?

Je l'ai déjà soigné. Je lève la tête pour la première fois vers le prince, il fait un signe de tête pour que je puisse lui donner raison à lui et non à Adriel. Je suppose qu'il veut parler. Je n'en ai pas envie. Je veux être loin de lui. J'ai peur qu'il recommence la même chose.

Mais je ne peux pas lui refuser. Je ne peux pas. C'est comme si j'essayais d'atteindre le ciel depuis la terre. Je ne peux pas physiquement. 

- J'ai déjà soigné des animaux. Dis-je d'une voix posée.

- Alors, c'est réglé. Dit le prince. 

Adriel me regarde, furieux, mais je ne dis rien. J'espère que le prince Kaelan comprendra pourquoi ce n'est pas une bonne idée de se voir. Cette discussion entre nous pourrait être la dernière, une sorte "d'adieu".

- Non, rétorque Adriel. C'est ma fiancée, et je refuse qu'elle reste avec toi. 

- Pourquoi ? Ne fais-tu pas confiance à ton grand frère, Adriel ? Penses-tu que je vais te poignarder dans le dos ?

Le regard d'Adriel en dit long. Il devient pâle, et n'ose plus rien dire. Il a visiblement besoin de l'aide du roi pour sortir de cette impasse.

- Ta fiancée est comme une sœur pour ton grand frère, fils. S'exclame le roi. Ils peuvent passer du temps ensemble, et renforcer leur... fraternité. Ai-je tort, ma fille ?

C'est trop tard pour cela. 

- Non... votre Majesté. Soufflé-je.

Le prince se lève alors après ma réponse, et tourne sa tête vers le roi. Il lui demande l'autorisation pour me prendre maintenant, ce à quoi le roi répond positivement. Je me lève alors à mon tour, et suis le prince de loin pour ne pas éveiller les soupçons d'Adriel.

- Ah, dit le prince en s'arrêtant, venir à l'improviste serait dangereux. Le puma n'aime pas cela. Ne venez pas, et n'envoyez personne.

Nous sortons, puis marchons, marchons et marchons jusqu'à une partie du palais, à son extérieur. Nous entrons, et je remarque que c'est fermé. Personne ne peut entrer, ni écouter aux portes. Nos pas faisant un échos prouve à quel point cet endroit est totalement vide.

- Je n'ai pas cessé de penser, toute la nuit. Me dit-il enfin, en se tournant vers moi. Je sais que tu me détestes sûrement, mais écoute moi.

- Je ne vous déteste pas, votre Altesse. Dis-je doucement.

Il est surpris, les yeux écarquillés. Il prend une profonde inspiration, semblant perdu dans ses pensées pendant un court instant. 

- Tu me surprends toujours, Aeryn. Dit-il en souriant doucement. Je me suis même détesté pour ce que j'ai fait.

C'est la première fois qu'il parle aussi ouvertement de ce qu'il ressent. Je m'attendais à ce qu'il se contente de dire que c'était une "erreur" et puis, c'est tout.

- Je ne t'ai pas embrassé parce que je voulais t'utiliser contre mon frère, ça m'a semblé juste à ce moment-là. Soupire-t-il. Mon esprit s'est figé, et je n'arrivais pas à penser correctement...

- Je vois que vous êtes aussi perdu que moi, et ma seule solution est... la distance. Nous ne devrions pas rester seuls ensemble comme ça. Vous vous sentirez coupable d'avoir trahi votre frère et moi... Je ne peux pas.

Il secoue la tête, visiblement désemparé par ma proposition.

- Je ne me sentirai jamais coupable.

- ... Vous savez que c'est de la tromperie, n'est-ce pas ? Je vais me marier avec Adriel, je ne peux pas faire cela. Mentis-je.

- Tu ne voulais pas empêcher ce mariage de toute façon ? Me demande-t-il. Tu étais sur le point de te tuer à cause de ça. Je ne sais pas ce que c'est, mais autant je voulais te faire quitter le palais au début, autant je te veux dans ma vie maintenant.

Et face à cette confession, je reste muette. Et je me rends compte que nous avons tous les deux chutés dans l'inconnu, sans savoir où nous allons atterrir.

Peut-être que c'est trop tard, finalement. Nous aurions dû nous arrêter avant cette chute... 

La Légende du Soleil et de la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant