La Légende du Soleil et de la Lune

58.

Il y a de la fumée partout, je peux à peine voir le champ de bataille. Le bruit des balles est encore plus fort qu'avant, et j'avais oublié l'odeur de la terre. Ce n'est pas du tout agréable. J'entre dans l'une des tentes disposées, où se trouve le commandant de l'armée. 

La tente est remplie de cartes, de rapports et de soldats qui attendent des ordres. Le général est assis à une table, étudiant attentivement une carte stratégique. Et lorsque j'entre, il lève la tête.

- Votre Majesté royale ? Dit-il en se levant.

Il s'incline devant moi, gardant la tête baissée. Je fais un signe de tête aux soldats présents pour qu'ils s'en vont, et ils obéissent immédiatement. La tente se vide, et je me trouve seul avec le général.

- Vous ne semblez pas surpris, remarqué-je. Avez-vous été prévenus de mon arrivé ?

- Non, votre Altesse... Dit-il en détournant le regard.

Je pose ma main sur son épaule. Quelque chose émane de lui, une... une sorte d'énergie mensongère. Je lui ordonne de lever son regard, et je le fixe dans les yeux. Sans qu'il ne s'en rende compte, je pénètre son esprit. Ses souvenirs me viennent, et je vois tout à travers ses yeux.

Une lettre ?

"Trouvez un moyen d'amener le prince Kaelan sur le champ de bataille. Et ensuite, trouver un moyen de l'occuper pour qu'il ne revienne pas avant un long moment."

Je ris légèrement. C'était évident que ce général était l'un des chiens de mon père. Je suis heureux de ne pas lui avoir fait confiance à l'époque. Mais je me demande... Pourquoi mon père ne veut-il pas de moi au palais ?

Je jure devant Dieu que s'il tente de mettre Adriel sur le trône durant mon absence... la guerre contre le Royaume de Regina prendra fin. Elle ne prendra pas seulement fin... Je me battrai avec eux, et je prendrai mon trône par la force.

Je mettrai fin à la vie de mon père et de mon frère.

- J'ai entendu dire que l'état de certains soldats s'était aggravé. De quoi s'agit-il vraiment ? Demandé-je avec méfiance.

- Certains soldats ont déserté le combat... Ils sont allés au royaume de Regina et nous ont trahis. Ils se battent maintenant avec eux. M'explique-t-il.

Je fronce les sourcils. Je n'en suis pas fâché, mais ces soldats se sont attirés la mort... Je sais maintenant ce qu'ils attendent de moi. Les exécuter. Après tout, je suis devenu plus qu'un héritier pour eux... Je suis l'ange de la mort. Je dois exécuter tous les ennemis sans pitié.

Je dois tuer, encore, encore et encore. Et le pire, c'est que... je ne ressens plus rien. Je pense que c'est mieux que de ressentir de la culpabilité et de vivre un cauchemar. Mais maintenant, je suis lié à une promesse. Je ne tuerai plus d'innocents.

- Combien ?

- Une vingtaine... soupire-t-il. J'ai leur dossier. Permettez-moi de vous l'apporter, votre Altesse.

- Apportez-le.

Le général s'incline une fois de plus avant de se diriger vers une armoire où sont rangés les dossiers des soldats. Il revient rapidement avec un dossier contenant les informations nécessaires sur les déserteurs.

- Je vais maintenant me retirer dans ma tente, lui dis-je, que personne ne vienne me déranger.

Sans attendre une réponse, je sors de la tente du général et me dirige vers la mienne. Dans ma tente, je me retrouve enfin seul, loin de l'agitation du champ de bataille. La fumée et le bruit s'estompent, mais les pensées tourbillonnent dans ma tête. Je m'assois à ma table de travail, laissant échapper un soupir de fatigue.

Le dossier des déserteurs est posé devant moi. Je l'ouvre et commence à lire les détails des hommes qui auraient trahi leur devoir. Ils sont si jeune. Plus jeune que moi de peu. La plupart ont l'âge d'Aeryn, d'autre encore plus jeune.

Et pour une certaine raison, je l'imagine me trahir aussi... Comme ces soldats, partir et se battre avec nos ennemis contre mon royaume. Je crois, le pire c'est que je ne peux pas dire avec certitude que cela n'arrivera jamais. J'espère qu'elle ne le fera pas... Elle a plus de chance de se faire attraper que n'importe qui d'autre, en étant la fiancée d'un prince.

Sa peine sera la mort. Et la mienne sera d'être son meurtrier.

Je soupire en passant mes mains sur mon visage, je dois cesser de m'inquiéter pour un rien. Elle n'est pas aussi stupide. Je ne peux pas sous-estimer son intelligence.

Je me lève de ma chaise, puis sors de ma tente en prenant les dossiers avec moi. Je rentre dans la tente principale, là où se passe toute la communication. Bien heureusement, tous les soldats ici me sont loyaux.

- Appelle le renard, dis-je à un des soldats.

Il hoche la tête puis pose son casque sur les oreilles et j'attends jusqu'à ce que la communication lui parvienne. Le soldat parle pendant quelques instants puis se tourne vers moi.

- Il vous attend à votre endroit habituel, votre Altesse. Me dit le soldat. Prenez un de nos chevaux à l'extérieur, cela sera plus discret.

Je hoche la tête puis sors de la tente. Je détache un des chevaux, et monte dessus. Je galope à travers les plaines, le vent fouettant mon visage, alors que je me dirige vers notre point de rencontre habituel à la frontière des deux royaumes.

Arrivé à destination, je descend de mon cheval et m'approche de l'endroit désigné. Je remarque une silhouette habillée de noir se fondant parfaitement dans les ombres des arbres. Lorsqu'il me voit, il s'incline.

- Votre Altesse, je suis sortis dès que j'ai reçu votre message. Me dit-il.

- Regarde ces dossiers, lui dis-je en les tendant. Ce sont des soldats qui ont désertés dans le royaume de Regina. Les reconnais-tu ?

Il prend le dossier en main, et y jette un coup d'œil. Je remarque que plusieurs corbeaux nous survolent.

- Votre Altesse, dit-il en levant la tête, ce sont des soldats de Regina. Ils ont été tués la semaine dernière, et le général avec ses soldats ont été aperçus en train de les enterrer à la frontière.

- Non, Renard, non. Ce sont nos soldats. Es-tu certain que c'est eux, qui ont été enterrés ? 

Il me le confirme. Je ne comprends plus rien... C'était un piège. Ils m'ont fait croire que la situation s'était aggravée pour que je vienne les voir. Et ils ont tué ces pauvres soldats pour que je les croie. Je n'aurais pas eu la preuve qu'ils mentaient...

Alors j'ai ri. J'ai ri hystériquement alors que les corbeaux nous entouraient. La mémoire de la terre s'est montrée à moi. Je vois dans mon esprit tout ce qui s'est passé. Tout ce dont cette terre, ce ciel, ces animaux ont été témoins. Un massacre. Une balle dans la tête de chacun de ces soldats. 

- Je savais que vous étiez un traître...