La Légende du Soleil et de la Lune

105.

Je me sens vidée.

Je ne me sens pas moi-même, et ces trois derniers jours, je les ai vécus comme un fantôme. Je ne pouvais ni dormir, ni parler, ni même manger. Chaque bouchée que je prenais me faisait vomir plus tard. J'ai renoncé à ma propre vie, tout cela parce que j'ai perdu la personne que je chérissais le plus. Mon bien-aimé Kaelan. Ces trois derniers jours, il n'est venu ni pour le petit déjeuner ni pour le dîner, et j'ai commencé à m'inquiéter, mais je ne pouvais rien montrer.

Je l'ai tellement blessé, et la vérité que je voulais lui dire, je l'ai utilisée pour le blesser encore plus. Pour cette raison, je me souhaite le châtiment le plus sévère qu'un humain puisse recevoir. Ne pas le voir, ne pas l'entendre, ne pas le toucher est déjà une punition en soi, mais j'ai besoin de quelque chose qui me blesse physiquement. J'ai besoin que quelqu'un me rappelle que je suis une personne horrible.

Il y a tellement de colère en moi, envers tout le monde, tout et surtout moi. Mais je ne peux pas la laisser sortir, alors à la place, je dessine. Je dessine des choses si sombres qu'elles pourraient traumatiser n'importe qui. Mais ce n'est pas seulement la chose que je dessine, c'est la sensation de réalité qu'elle procure. La mère de Kaelan avait raison, mes mains dessinent ce que disent ma tête et mon cœur. Ils ne semblent pas vides, ils le sont...

J'ai envie de pleurer, mais je n'en ai pas le droit, alors je m'en empêche. Si j'avais pu, je crois que j'aurais mis fin à mes jours. Mais au lieu de cela, je passe ma colère sur le papier de mon carnet de dessin, et je déchire les pages avec mon crayon. Je me fiche de ruiner mon travail, plus rien n'a de valeur pour moi.

Quand on frappe à la porte, je range mon carnet et je dis à la personne d'entrer. Et je sens tout mon corps se tendre à la vue de Seraphina. Je sens mes dons bouger à l'intérieur de mon corps, et je sais qu'ils veulent lui sauter dessus et la battre pendant que je pleure toutes les larmes de mon corps. Je l'envie tellement. Elle doit sauter de joie pour être la future femme de Kaelan. Elle va devenir ce que j'ai toujours voulu.

- Que faites-vous ici ? Lui demandé-je, froidement.

- Je m'en vais, dit-elle, je retourne dans mon royaume.

Je suis surprise. Je crois que c'est la première émotion en dehors de la colère que je ressens depuis la dernière fois avec Kaelan. Ne va-t-elle pas l'épouser ? Peut-être qu'ils vont se marier dans son royaume...

- Je pensais que vous resteriez, dis-je, vous avez eu ce que vous vouliez après tout.

- Non, dit-elle en serrant les poings, j'ai sous-estimé son amour pour toi. Il est prêt à mourir, mais pas à épouser une autre femme.

- Quelles sont ces absurdités ? Il ne m'aime pas.

Elle rit, mais j'espérais qu'elle continuerait à parler. Elle sait clairement où il se trouve. Même si je pensais qu'il était au palais de sa mère, il est peut-être ailleurs.

- Il me l'a dit, admet-elle. Il m'a dit qu'il t'aimait et qu'il t'aimerait probablement pour le reste de sa vie. Il m'a dit que même si tu voulais épouser son frère, il t'aimait toujours et qu'il ne te trahirait pas même si tu l'avais fait. Mais même s'il souhaite ton bonheur, il ne peut pas en être témoin si c'est avec quelqu'un d'autre que lui.

- ... Où est-il allé ?

- Il est parti à la guerre. Il ne veut pas m'épouser, et il l'a dit au roi. Il est retourné sur le champ de bataille, et se battra. Soit avec Regina, soit avec Kalsias, je ne sais pas, mais il ne reviendra pas dans ce palais. Soupire-t-elle. S'il lui arrive quelque chose, je veux que tu vives avec cette culpabilité pour toujours... Quoi qu'il en soit, c'est tout ce que j'avais à dire, adieu.

Et sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit, elle s'en va. Heureusement, je suis assise. Sinon, je me serais effondrée. Il est retourné... Il est retourné là où il était à cause de moi.

Je me déteste. Je me déteste. Je me déteste. Je me déteste. Je me déteste. Je me déteste. Je me déteste. Je me déteste. Je me déteste.

Et même si je m'étais promise de ne pas pleurer, j'ai pleuré. J'ai éclaté en sanglots. Il est parti. Il a quitté le palais. Il est à nouveau à la guerre. Il met sa vie en danger, et je ne peux pas ne pas y penser. Il peut mourir. Il peut mourir avant de connaître la vérité. Il peut mourir avant de savoir que je ne lui aurais jamais dit ces mots, que je n'aurais jamais accepté d'épouser Adriel même si j'allais mourir, si je n'avais pas été menacée.

Adriel m'a menacée.

Il a capturé Eliza alors qu'elle se rendait à Regina. Il m'a menacée avec elle. Il l'a empoisonnée et l'a emprisonnée dans un endroit que personne ne pouvait trouver. Je l'ai vue dans un écran, elle souffre, le poison l'affecte lentement. Elle peut rester en vie deux ou trois semaines, et il lui donnera l'antidote quand nous nous marierons. C'est aussi pour cela que j'ai accepté de déplacer la date. Plus tôt nous nous marierons, plus tôt elle sera libérée.

J'aurais aimé pouvoir le dire à Kaelan, mais je ne peux pas. Adriel m'a fait promettre de ne rien révéler à personne, une sorcière a scellé mes lèvres pour que je ne puisse rien dire. Je devais accepter cette promesse et ce mariage, sinon Eliza allait mourir. Ma chère amie.

- Dis-moi, dis-je à Adriel, comment vais-je la sauver ? Que dois-je faire ?

- Tu vas m'épouser, mais tu ne diras jamais à personne ce qui s'est passé aujourd'hui. Dit-il. Tu dois me le promettre.

D'accord. Je promets et je mens. Cela ne devrait pas être difficile, n'est-ce pas ? Je le dirai à Kaelan et il m'aidera. C'est alors qu'une femme aux vêtements sombres entre.

- Je te promets, dis-je.

- Mais je ne te fais pas confiance, dit-il. Tu vas devoir me le promettre, avec un peu de magie...

La femme vient à moi et je recolle les morceaux. De la magie ? Est-ce une sorcière ? Elle s'approche de moi en souriant.

- J'ai déjà promis, à quoi bon ? Dis-je en reculant.

- Mais une promesse n'est que des mots, qu'est-ce qui garantit que tu ne la briseras pas ? Me dit-il. Si tu ne fais pas ce que je te dis, j'augmenterai la dose de poison pour ton amie, et elle mourra. Ce sera ta faute.

Je baisse la tête. Je n'ai pas le choix... Je l'ai vue, elle est dans un sale état. Je ne peux pas la laisser mourir à cause de moi.

- D'accord. Soupiré-je. Fais-le.

Je pleure tellement que j'ai l'impression de suffoquer. Je ne peux plus respirer. 

A cause de cette décision, j'ai perdu Kaelan, et je me suis perdue moi-même par la même occasion...