La Légende du Soleil et de la Lune

74.

Nous nous sommes assis, je sais que c'est une histoire lourde à entendre.

- J'avais trois ans, dit-elle à voix basse, et il avait sept ans. Il était jeune, me dirais-tu, mais il est capable de comprendre les choses, n'est-ce pas ? Nous avons été attaqués, ils ont dit que c'était des gens qui essayaient d'abolir la monarchie... Et... Et...

Je la vois baisser les yeux, je prends ses mains dans les miennes. Je sais qu'elle voulait continuer, mais qu'elle n'y arrivait pas. Elle a ouvert la bouche plusieurs fois pour continuer, mais n'a rien dit.

J'entends alors quelqu'un se racler la gorge, Kaelan est là. Sans rien dire, il s'assoit à côté de moi.

- Ils voulaient me tuer, dit-il d'une voix monotone. Pourtant, c'est lui qui était là, lui et ma mère. Ma mère a essayé de le protéger, elle l'a laissé s'enfuir pour qu'il puisse appeler le roi et les gardes. Il a quitté la pièce sans hésiter, et n'a appelé personne. Ma mère se faisait torturer et tout ce qu'il a fait, c'est de verrouiller la porte sur elle et sur eux.

Il reste silencieux un moment, je n'arrive pas à y croire. C'est tellement... c'est tellement cruel. Et c'était un enfant. Comment a-t-il pu... ?

- Ils lui ont coupé la langue et l'ont laissée pour morte. Maman était prête à lui pardonner, parce que c'était un enfant, et qu'il ne savait soi-disant pas ce qu'il avait fait. Il a failli tuer sa propre mère. Dit-il en serrant les poings. Il n'a jamais montré de regrets. Même après que le roi a chassé ma mère du palais, parce qu'il trouvait honteux qu'une reine soit muette, il n'a jamais montré de regrets. Maman a essayé de le contacter jusqu'à ses seize ans. Il lui a dit qu'il avait honte et qu'elle n'était pas sa mère.

Je suis abasourdie. Les mots me manquent... J'avais raison de penser qu'il était bien pire que ce que je voyais de lui, bien plus terrible. Il ne mérite pas d'être seulement éliminé par sa famille, non... il mérite la mort. Une mort dure. Une mort lente et douloureuse.

Et le roi ? Comment a-t-il pu la mettre à la porte comme ça ? Si Adriel était mon fils, je ne pense pas que je voudrais le voir. Alors comment se fait-il qu'il puisse regarder son fils dans les yeux, et même le favoriser, le gâter ?

- C'est exactement ce que je ressens à son égard, dit Elara. Je les déteste au plus haut point.

Je ne peux rien dire, je suis dégoûtée... Et je regarde les deux frères et sœurs, je comprends maintenant pourquoi il m'avait prévenu de ne pas prononcer le nom d'Adriel ici. Je ne sais vraiment pas comment il peut vivre avec lui, sachant tout ce qu'il a fait.

- Tout cela à cause de la jalousie. Dit Kaelan en soupirant. Il n'a pas accepté le fait qu'Elara et moi ayons des dons, alors que lui n'en a pas.

- Dieu savait qu'il était préférable de ne pas lui donner de don. Dis-je.

Les deux acquiescent. Puis Kaelan se passe les mains sur le visage, avant de se lever devant moi.

- De toute façon, nous aurons le temps d'en parler plus tard. Maintenant, je suis venu pour toi.

Je lève les yeux vers lui. C'est vrai... C'est sa mère qui peut m'aider avec mes dons. Je me lève aussi, puis il pose sa main sur mon dos pour me faire marcher avec lui. Nous retournons là où se trouve sa mère, elle n'a pas bougé depuis tout à l'heure.

Kaelan se baisse à sa hauteur, puis se met à lui faire des signes. Immédiatement, sa mère tourne sa tête vers moi en souriant puis elle me signe à son tour.

- Je lui ai dis que tu avais besoin d'aide par rapport à tes dons, et elle te demande si tu es d'une lignée royale. Me traduit Kaelan.

- Oh, non. Lui dis-je alors. Mon père est un villageois.

Elle me regarde d'un air confus, cela est sûrement dû à ce que Kaelan m'avait dit. Que je suis une "anomalie". Que seul ceux qui possèdent du sang royal peuvent avoir un don.

La mère de Kaelan signe encore, et cette fois plus longtemps. Kaelan, lui, me traduit au fur et à mesure.

- "Les dons ne sont pas donnés à n'importe qui, ils font de nous ce que nous sommes. Par exemple, mon fils Kaelan a le don de l'esprit. Il a une grande confiance en lui et en ses capacités, il est très protecteur envers ceux qu'il aime, mais il peut être parfois manipulateur et très froid. C'est un homme très secret et très méfiant. Mais c'est juste quelqu'un qui a besoin que quelqu'un touche, non pas son esprit, mais son cœur."

Je regarde Kaelan, qui traduit les signes de sa mère. C'est tellement vrai. Tout comme le soleil, il est à la fois dangereux et réconfortant... Il ne laisse personne l'approcher, sauf... sauf sa lune.

- " Toi... Toi, ma douce, avec ton don de guérison, tu es empathique, compatissante, tu crois que ton bonheur est basé sur le bien-être de ton entourage. Et pour tes dessins et tes visions, tu es méfiante aussi mais pleine d'espoir. Tu es très sensible à ce qui t'entoure, mais parfois, tu es très dubitative et tu as besoin d'être rassurée. Tu penses que tu es remplaçable, et que, même si tu penses que n'importe qui peut être plus utile que toi, tu espères toujours que les gens puissent voir ta valeur. Si toutefois tu as de la valeur."

Je détourne le regard en sentant celui de Kaelan. Je n'ai jamais rien entendu d'aussi vrai à mon sujet. Je soupire, tout ce que j'avais, c'était l'espoir. Mais est-ce que l'espoir m'a mené quelque part ?

- Aeryn, dis-lui comment fonctionnent tes dons. Comment tu te sens à l'intérieur en les utilisant. Ce que tu vois.

Je hoche la tête puis commence à tout lui expliquer, je ne lui donne pas beaucoup de détails sur mes visions ou mes dessins, mais je lui raconte comment j'ai pu voir des événements que j'ai vécus avec la personne principale changer, ce qui change le cours des choses.

Je lui dis que cela me rend désespérée de vouloir vivre de telles choses. Et elle m'écoute attentivement. Au fur et à mesure que je parle, je sens mon cœur s'alléger. C'est la première fois que j'en parle aussi clairement avec quelqu'un. Eliza en sait un peu, Kaelan un peu plus, mais maintenant... Je déverse tout ce que j'ai sur le cœur.

Et cela fait du bien. Tellement bien.