Chapitre 2 - Samrata (2/2)

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– Je vous prie de m'excuser, se corrigea Drukda, s'inclinant en signe de soumission. Je me suis laissé emporter par mon indignation de voir ces barbares s'imaginer au-dessus de l'Empire.

– Vous croyez-vous dans une arène ? reprit Jurgen, récriminant autant Drukda que Chig Rohir.

Ce dernier avait ramassé son chapeau et s'était rassis, impassible.

– Cette histoire n'aura d'incidence sur l'Empire que si la fille réapparaît, reprit finalement Jurgen. Mais alors, le mariage avec ton fils pourrait quand même avoir lieu.

– Votre Altesse. Jamais je ne pourrais maintenir un tel arrangement, s'offensa Drukda. Seuls les Dieux seraient témoins de ce que ces barbares lui auraient fait... Jigme ne pourrait être marié à une misérable que je ne sais combien de fils de porchas auraient souillée ! Cela salirait son nom autant que ses draps.

– N'est-ce donc pas pour sa gemme que tu t'intéresses à cette vilaine ? Qu'il la prenne comme concubine...

– L'Héritier ne serait alors qu'un bâtard.

L'Empereur exhala son agacement à travers un long soupir.

– Certes, admit-il. Mais rien ne nous prouve que ce soit un fait des Loeknohriens. Thidrik n'a aucun avantage à ce que sa fille disparaisse. Et je ne doute pas qu'il ait déjà tout mis en œuvre pour la retrouver.

– Il n'a aucun intérêt à ce qu'elle réapparaisse, corrigea Drukda. Votre Altesse, vous seriez étonné d'apprendre ce que mon don m'a enseigné sur la perfidie de certains elfes en percevant leurs pensées.

En confiant cela, il avait effleuré du bout des doigts la petite gemme incrustée dans son front. Son fragment de pierre était peut-être le plus mystérieux des douze. Sa couleur était unique, indescriptible, tout comme celle de ses yeux. Drukda était l'Héritier des Gémeaux.

– As-tu vu quelque chose ? demanda finalement Jurgen en se tournant vers le chig.

Comprenant que l'Empereur étudiait enfin la situation avec sérieux, les yeux iridescents de Drukda, semblables à deux labradorites, étincelèrent d'une complaisance malicieuse. Il exultait intérieurement, débordant d'espérance.

Il ne cherchait plus d'arrangement. Ce qu'il voulait, c'était une guerre. Mais l'Empereur était-il prêt à dépoussiérer les épées de guerre oubliées depuis près de deux siècles ?

– Rien d'exploitable, répondit le chig. Mes précognitions sont troubles. Il se passe quelque chose, c'est certain, mais je ne saurais dire si c'est lié à la fille de Thidrik. Toute interprétation serait hasardeuse.

– Nous avons quelques elfes sur place à Loeknohr. Nous allons attendre leur rapport et préparer une armée en cas de besoin.

Jurgen s'interrompit pour dérouler l'un des parchemins qu'il avait amenés, le fixant avec une attention accrue.

– Si nous devions mener une offensive sur leurs terres, nous n'aurions aucune chance de les faire ployer, reprit-il. Nos forces sur place sont presque nulles et leur territoire est trop vaste et hostile. Ces sauvages errent encore à travers leur île à la recherche de gibier. Nous ne saurions même pas où attaquer.

Sa voix, son regard, son sourire, toute son attitude affichait un dégoût manifeste envers ce peuple qu'il considérait avec guère plus d'estime qu'il n'aurait accordée à des animaux, ou à des humains. Jurgen n'avait jamais vu en eux que des pillards sanguinaires qui n'aspiraient ni au progrès ni à la civilisation ou au confort que l'Empire pouvait leur apporter.

– Les Myselthiens sont plus proches, ils pourraient nous porter main forte, suggéra Drukda en se levant pour aller chercher de quoi se désaltérer le gosier.

Il sortit trois coupes en argent du buffet sur lequel se trouvait une jarre et, ignorant complètement la proposition d'aide de l'échanson, dont il volait assurément le rôle, il les remplit du précieux nectar à la couleur pourpre.

– Certes les Myselthiens participeraient à l'offensive, mais ils n'ont pas une meilleure connaissance que nous de Loeknohr, soupira l'Empereur.

Un long silence s'ensuivit. Toute offensive semblait vaine et le sentiment de colère que Drukda venait tout juste de parvenir à chasser montrait déjà de premiers signes de reconquête.

– Si nous n'avons pas un savoir assez grand de leur territoire, il faudrait les contraindre à en sortir. Mener l'attaque où nous avons le plus de chances d'être victorieux, annonça alors Chig Rohir. Sur notre continent. Mais je me dois de vous rappeler, Votre Altesse, qu'engager tous ces moyens coûtera très cher à l'Empire. Et tout cela ne repose pour le moment que sur des suppositions.

Drukda, qui venait de ramener les trois coupes, s'était rassis et semblait fixer le chig avec une expression hostile.

– Le coût de la préparation d'une guerre n'est rien, comparé à celui de la défaite, déclara-t-il d'un ton grave, soutenant son regard. Donnons-nous les moyens de vaincre.

– Nous pourrions réunir un Conseil militaire avec Athán, coupa l'Empereur. Il est prometteur, mais manque encore d'expérience pour gérer à lui seul une guerre en tant que Chef des Armées. Tu resterais avec lui et lui prodiguerais tes conseils. Quoiqu'il en soit, nous enverrons un espion parmi les Loeknohriens. Il faudra choisir un de nos officiers les plus talentueux, tout en sachant qu'il ne nous reviendra certainement pas.

– Je pense connaître un garçon dont le profil serait parfait, affirma Drukda en portant sa coupe à ses lèvres.

– Et qu'en serait-il d'Isenza ? s'enquit Chig Rohir.

Isenza n'était pas seulement l'épouse de Thidrik, le Chef des Clans de Loeknohr, mais également la nièce de Jurgen.

– Je ne doute pas de sa loyauté envers l'Empire, mais sa mission en s'unissant à Thidrik était de l'influencer pour civiliser un peu ces sauvages. Elle n'en semble manifestement pas à la hauteur. Famille ou pas, nous ne pouvons pas encourager l'incompétence.

Soudain, un grand fracas les fit tous trois sursauter. L'échanson, qui venait de goûter une gorgée du précieux breuvage, comme il était d'usage qu'il le fasse, s'était écroulé lourdement, emportant la jarre dans sa chute. Celle-ci s'était brisée en mille éclats, une traînée pourpre commençait à se répandre sur les dalles. Son corps convulsait dans tous les sens, comme s'il était en prise à une attaque mentale.

Le chig s'en approcha pour tenter d'en identifier la cause. Après de violents tremblements, l'esclave s'était enfin immobilisé dans une position agonisante. Son visage s'était éteint dans une expression de douleur lancinante. De fines bulles mousseuses continuaient de se former au coin de ses lèvres, jusqu'à déborder et s'épancher le long de sa joue.

– Je ne connais qu'un seul poison qui puisse avoir un effet aussi fulgurant, annonça-t-il en se relevant au-dessus du corps inanimé de l'échanson. Du kuoleblek. Quelques gouttes suffisent à tuer un elfe.

– Et d'où vient-il ? questionna Drukda en posant la coupe dont il n'avait fort heureusement pas goûté le contenu.

– On n'en trouve que dans les lacs de Loeknohr.

Un lourd silence s'installa dans la salle de conseil.

LE DERNIER HÉRITIER - T1. La première guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant