Chapitre 6 - Samrata (1/2)

37 9 2
                                    

– Votre Altesse ? interrogea l'elfe qui venait d'achever sa déclamation, la voix teintée d'un mélange de crainte et d'impatience

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

– Votre Altesse ? interrogea l'elfe qui venait d'achever sa déclamation, la voix teintée d'un mélange de crainte et d'impatience.

C'était un paysan qui vivait à quelques dizaines de milles au sud de la cité impériale. Il possédait quelques hectares de champs et une bonne centaine d'esclaves pour cultiver ses terres.

– Eh bien, qu'y a-t-il ? s'énerva l'Empereur, tandis qu'il se redressait sur son immense trône en or.

À la création de l'Empire, chaque souverain avait dû prouver son allégeance en faisant don de sa couronne, ou de n'importe quel autre objet en or, pour le forger. Assis sur l'abnégation de tous ces seigneurs, Jurgen abaissa son regard sombre sur le misérable paysan. L'expression figée de son visage, la veine devenue apparente sur le côté droit de son front et sa mâchoire serrée étaient autant de signes de fatigue et de contrariété. Plus pesant encore que le poids de la très haute couronne sur sa tête, celui de cette guerre l'épuisait. Accaparé par ce tourment, il n'avait absolument rien entendu de la complainte du paysan.

– Votre Altesse, je vous supplie de faire quelque chose, se lamenta ce dernier d'une voix dolente. Cela va faire le dixième esclave qu'on me dérobe en trois lunes ! Je ne peux pas cultiver mes terres dans ces conditions ! Bientôt, il faudra que je les laboure moi-même à la place de mes humains et de mes bêtes !

Agenouillé à quelques pas de son souverain, le plaignant pressait nerveusement son chapeau de feutre entre ses petits doigts gonflés. Il était vêtu d'habits simples, qui semblaient certes de bonne facture, mais sans aucune ornementation. S'il portait bien l'étoffe du paysan, il n'en avait pas la carrure. Son léger embonpoint trahissait autant son manque d'efforts physiques que sa gloutonnerie. Aussi ne devait-il pas souvent plonger les mains dans le purin. Il avait des humains pour cela.

– Que l'on te dérobe ? Qui donc ? Si tu as un différend avec un autre paysan, ce n'est pas ici qu'il faut débiter toutes tes litanies, s'exclama l'Empereur dont la voix laissait transparaître son agacement.

Ce n'était ni le lieu ni l'instant, pour régler ce genre de litiges entre culs-terreux. Déjà que l'Empereur s'efforçait de tenir ces séances de doléances malgré sa grande impatience et son faible intérêt pour le peuple ; il n'était pas question en plus de traiter de sujets aussi insignifiants que celui-ci. Jurgen était parvenu à se débarrasser de toutes ces affaires en leur imposant un protocole fastidieux pour déposer leur plainte. Cela avait mis en abîme que ces litiges n'étaient somme toute pas si importants... ou du moins, cela les avait forcés à les régler sans avoir recours à Son Altesse Impériale.

– Un paysan ? Diantre non ! Je sais reconnaître mes esclaves et je l'aurais vite découvert si un faquin m'en avait dérobé ne serait-ce qu'un ! Mais il s'agit-là de dizaines. Quand je vous dis qu'on me les dérobe, c'est qu'on me les fait disparaître. Et pas pour travailler dans le champ d'à-côté. Disparaître, vous dis-je !

L'elfe s'était exclamé en relevant son regard vers l'Empereur. Il avait plissé les yeux pour ne pas être ébloui par sa magnificence. À moins que ce ne fût les rayons du soleil qui, traversant l'immense coupole de verre, irradiaient la salle de leurs faisceaux.

– Et qu'attends-tu de moi au juste ? S'ils arrivent à s'enfuir, c'est que tu n'es pas assez vigilant. Ce n'est pas à moi de gérer ton bétail.

– S'enfuir ? s'écria le paysan en laissant échapper un léger ricanement. Votre Altesse, je vous assure qu'il ne leur viendrait pas à l'idée de s'évader. Ces couards ont bien trop peur des représailles. Et quand bien même ils en auraient le courage, ils n'en auraient aucunement la possibilité. Je les tiens d'une poigne de fer. Si je viens faire appel à votre complaisance, en vous ennuyant avec mes problèmes, c'est bien que je n'aie pas trouvé d'autres solutions. Votre Altesse, ce sont les Autres qui les font disparaître.

De grandes inspirations s'élevèrent aussitôt du haut des balcons suspendus, trahissant la stupéfaction des quelques témoins. S'ensuivit un bruit de chuchotements, mélange de consternation et d'effroi.

Un rictus dédaigneux s'était dessiné sur le visage de Jurgen. Il fit glisser ses avant-bras jusqu'au bord des accoudoirs pour se pencher sur le petit paysan. Cela faisait plusieurs lunes que des histoires proliféraient sur les Autres. Jusqu'alors, ils s'étaient faits plutôt discrets et n'avaient pas représenté de réelle menace, notamment grâce aux persécutions dont ils étaient victimes. L'Empereur avait chargé les elfes d'Ifaestyr de les éradiquer avec leur feu-narōn. C'était le seul moyen de venir à bout de ces monstruosités, de ces buveurs de sang démoniaques, sans âme, ni honneur. Ils représentaient tout ce que Jurgen exécrait le plus : le chaos.

– En as-tu la certitude ? s'enquit-il d'un ton sérieux. Il n'existe plus beaucoup d'Autres sur le continent. Ils se cachent, dans les tréfonds des forêts Myselthiennes ou des montagnes Dongāriennes.

– Votre Altesse, cela ne fait aucun doute que mes esclaves ont été enlevés de force. Et pas n'importe quelle force ! J'ai retrouvé leurs chaînes brisées à même le sol. Si ce n'est pas l'œuvre d'un Autre, ça ne peut être que celle d'un démon.

À ce moment, les immenses portes de bois s'ouvrirent dans un grincement sonore : un garde apparut dans la salle du trône et, d'un pas assuré, il s'approcha de l'Empereur. L'écusson doré brodé sur son épaule gauche indiquait son appartenance à la brigade portuaire de l'armée impériale : un majestueux deux-mâts semblait en émerger. C'était un jeune elfe, d'à peine une vingtaine d'années, dont la physionomie était marquée par les traits caractéristiques des Dongāriens.

Lorsqu'il parvînt à son niveau, le garde se prosterna d'abord de toute sa hauteur.

– Pour l'Empire ! s'exclama-t-il en frappant son plastron d'un puissant coup de poing, après s'être redressé.

Il s'avança jusqu'à être à moins d'un pas du trône doré et annonça d'une voix moins forte :

– Votre Altesse, nous venons d'apercevoir un navire loeknohrien au large des côtes, il semble se diriger vers notre port.

– Est-ce qu'il vient de Kungmaa ? s'enquit l'Empereur dans un murmure.

– Il semblerait, si l'on se fie aux deux baleines sur sa coque.

– Dis au général d'être vigilant lors du contrôle des marchandises, et qu'il ne lâche pas le capitaine d'une semelle.

Le garde acquiesça d'un signe de tête et sortit dela salle, sans se laisser intimider par les regards curieux qui épiaient chacunde ses mouvements.

LE DERNIER HÉRITIER - T1. La première guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant