Chapitre 1 - Kungmaa (2/2)

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Le geôlier réagit aussitôt en dégainant sa hache

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Le geôlier réagit aussitôt en dégainant sa hache. D'un coup brutal, il lui fendit le visage avant de se précipiter sur la Dongārienne pour lui porter secours.

Alors que le crâne de Krighorn se brisa dans une éruption de sang, le défigurant atrocement ; tout son corps ne devint que poussière volatile, presque invisible, puis se dispersa dans l'air glacé. Il n'était plus, et il était partout à la fois. Ainsi s'en allaient les Héritiers, lorsque la vie les quittait. Le Pi s'emparait de leur corps et de leur âme.

La gemme tomba brusquement dans un tintement aigu.

Isenza gisait sur le sol, une balafre béante s'était dessinée du dessous de son oreille gauche jusqu'au-dessus de sa clavicule. Elle avait porté sa main à sa gorge entaillée comme pour contenir le sang qui en jaillissait. Elle aurait voulu refuser l'assistance du garde, l'empêcher de la toucher, ou plutôt de la souiller, avec ses mains impures, mais Isenza savait qu'en rejetant cette aide, elle n'aurait aucune chance de survivre. Elle chercha d'abord à relever sa tête, mais comprit très vite que cela ne faisait qu'aggraver sa plaie. Comment avait-il pu lui infliger une telle blessure alors qu'il n'avait plus aucune énergie ? Elle avait oublié que les Héritiers étaient bien plus sensibles à la force de Pi. Cette force créatrice de toute chose, lui avait insufflé une dernière fois sa puissance avant de reprendre son dû. Elle s'en voulut de ne pas l'avoir anticipé, de l'avoir sous-estimé. Elle perdit connaissance sur ces pensées amères, s'abandonnant à un long sommeil.

Dans la hâte, le garde utilisa son don pour appeler à l'aide. La geôle était bien trop isolée du reste du château pour que quiconque l'eût entendu s'il avait simplement crié. Les prisonniers avaient tendance à se montrer plus loquaces et bien plus bruyants que celui-ci, c'est pourquoi les salles de torture étaient creusées dans le sol.

Isenza fut portée jusque sur son lit, et on convoqua aussitôt un guérisseur. Ses beaux draps de soie étaient devenus écarlates, maculés de sang. Son visage était d'une blancheur cadavérique. Il faisait froid, comme en chaque lieu à Kungmaa. Pourtant, les derniers rayons du soleil inondaient la pièce de lumière. Un garde s'empressa de tirer les épais rideaux de lin qui encadraient la fenêtre voûtée, les plongeant dans une obscurité partielle. Tout le château n'était pas décoré avec tant de raffinement. Le confort dans la plupart des chambres était beaucoup plus rudimentaire. Les seules couvertures étaient faites de peaux de mammouth, ou de laine à la limite, mais la soie n'y trouvait guère sa place. Isenza avait insisté pour agrémenter ses quartiers à sa manière, attestant toute la finesse dongārienne. Elle s'était fermement opposée aux ornements typiques de Loeknohr, qui se résumaient exclusivement aux armes et à la chasse.

Les yeux du guérisseur s'écarquillèrent en apercevant le corps d'Isenza, ne sachant pas si son don suffirait à la sauver. Sans un mot, il se hâta d'invoquer la force du Pi, priant la déesse Lhamo pour que l'esprit de la mourante soit encore assez alerte pour répondre à ses injonctions mentales. Guérir était bien plus ardu que de faire souffrir, car l'esprit du blessé était souvent trop affaibli pour imprégner son corps du moindre effet. Le Dongārien savait que cette plaie-là était sérieuse. Jamais il ne parviendrait à l'effacer complètement, si tant est qu'il puisse sauver l'elfe.

Le Chef des Clans se précipita dans la chambre.

Que s'est-il passé ? vociféra-t-il en découvrant sa femme.

Nous étions en train d'interroger Krighorn, et il l'a attaquée...

Quoi ? le coupa-t-il brusquement. Où est ce fils de chiure que je le réduise en poussière ?

Ce ne sera plus nécessaire.

Un long silence s'installa dans la pièce, la tension était palpable. Thidrik semblait empreint d'autant de colère que d'inquiétude. Et plus il réfléchissait à la situation, plus sa rage s'intensifiait. Il finit par l'évacuer en projetant violemment une poterie contre le sol, brisant le silence pesant par son fracas.

Par Havohr, pourquoi donc étiez-vous en train de l'interroger ?

Je... C'est elle qui me l'a demandé.

Et c'est à ma femme que tu rends allégeance ? Est-ce elle ton Chef ? Je l'avais déjà sondé ! fulmina-t-il.

Ce n'est pas ça, je n'ai pas eu le choix...

Enfermez-le, ordonna-t-il en s'adressant aux autres gardes. Et tâchez de retrouver la gemme de Krighorn. Que personne ne mentionne sa mort.

Il n'avait encore aucune idée de la façon dont il allait gérer cette situation, mais le fait que Krighorn soit un Héritier, et que son décès n'eût laissé aucune trace, était déjà un ennui de moins. Il n'aurait pas à en dissimuler le corps, le temps de trouver une solution. Qu'est-ce qu'Isenza avait bien pu croire ? S'il ne l'avait ni tué ni libéré, c'était uniquement parce qu'il n'avait pas encore décidé de la meilleure manière de régler cette épineuse affaire, sans se mettre à dos la moitié des clans. Et celle-ci était assurément la pire.

Quand les gardes disparurent de la pièce, il se tourna à nouveau vers son épouse. Grâce au travail du guérisseur, sa gorge ne saignait plus, laissant cependant une cicatrice particulièrement visible. La blessée n'avait toujours pas repris connaissance.

– Qu'as-tu encore fait, femme ?! s'exclama-t-il en samra, comme chaque fois qu'il s'adressait à elle.

Siégeant au Conseil impérial, Thidrik maîtrisait parfaitement la langue de l'Empire, malgré sa voix gutturale. Mais s'il faisait l'effort de parler cette langue sur ses propres terres, c'était uniquement par amour pour elle. Bien que ses sentiments n'eussent jamais trouvé de réciprocité.

– M'exècres-tu au point de vouloir détruire mon peuple ? ajouta-t-il en glissant ses doigts à travers sa douce chevelure de jais.

Le refus que sa femme lui témoignait depuis leur alliance l'avait toujours excité. Plus elle le repoussait, plus il la désirait ardemment. Encore à ce jour, après la pagaille qu'elle venait de semer, il ne pouvait réellement la détester. Ou tout du moins, ce n'était pas une rancœur froide qu'il ressentait à son égard, mais une haine bouillonnante d'envie, de passion et de jalousie. Il se serait d'ailleurs bien jeté sur elle avec la voracité d'un loup en rut, mais son tourment, plus que le sang qui maculait les draps, réussit à réfréner sa vigueur.

Isenzaétait la seule chose qu'il ne pouvait posséder sur son territoire, alors mêmequ'elle était sa femme. Il pouvait certes la prendre à son gré, la soumettre àses ordres, bien qu'elle parvînt parfois à s'en dérober, mais il savait quejamais il ne conquerrait son cœur, jamais elle n'éprouverait la moindretendresse, la moindre admiration, ni même le moindre respect à son égard.Débordé par ce mélange de colère, d'envie et d'orgueil, il n'avait qu'une volonté,lui faire payer sa trahison autant que l'indifférence qu'elle lui portait. Mêmemeurtrie, encore inconsciente, il voulait la prendre comme si la contraindreencore une fois aurait quelque chance de faire ployer ses sentiments.

LE DERNIER HÉRITIER - T1. La première guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant