Chapitre 8 - Beleanor (2/2)

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– Votre Altesse ! s'exclama un soldat en s'approchant de lui.

C'était Senge, le plus fidèle ami qu'il s'était fait à l'Académie. Peut-être le seul. Cela faisait seulement quelques semaines, à peine plus d'un mois, qu'ils en avaient quitté les remparts. Et pourtant, cela lui paraissait une éternité, comme si une vie entière s'était écoulée depuis. Senge ne semblait pas avoir tant changé, lui. Il affichait toujours le même air négligé. Son visage et son regard n'exhibaient aucun signe de fatigue ou d'angoisse : ils reflétaient encore l'énergie insolente de la jeunesse et de l'ignorance. Sa barbe mal rasée et ses longs cheveux en bataille, attachés très grossièrement, trahissaient sa nature désinvolte. C'était une des raisons pour lesquelles le prince s'était rapproché de cet effronté dès leurs premières années d'études. Il avait apprécié son audace et son intégrité. Senge n'était pas du genre à se plier en doucereuses courbettes chaque fois qu'il le croisait, c'était d'ailleurs le premier à s'être véritablement opposé à lui aux cours de combat. Tous ceux qu'il avait affrontés jusqu'alors s'étaient efforcés de retenir leurs coups, sans doute de peur de se faire renvoyer, ou pire, en cas d'accident. Pas lui. Après leur combat magistral, les autres étudiants avaient pris conscience qu'ils n'avaient en rien besoin de se modérer avec lui. Et enfin, Athán avait pris goût à ces cours, y trouvant un peu d'enjeux. Du reste, Senge était fils de chevalier. La noblesse de son sang, combinée à ses grandes qualités, avait très certainement concouru à ce que le prince finisse par l'estimer, presque comme un égal.

– Qu'y a-t-il ?

– Beaucoup commencent à s'impatienter. Ils ne savent pas vraiment ce qu'ils font là. Ça fait des semaines qu'on est dans ce camp à s'entraîner, à former des paysans qui n'y connaissent rien, à ne pas pouvoir ripailler, ni même s'amuser un peu... Bref, quand on est arrivé c'était plutôt excitant... l'idée de se préparer à une guerre et tout. Mais là, tout le monde commence à en avoir marre d'attendre et ça crée des tensions.

En prononçant ces mots, le jeune soldat n'avait pas lâché le manche de son épée, tantôt l'empoignant avec fermeté, tantôt le faisant glisser dans le creux de sa paume. D'aucuns auraient pris ça pour une menace, mais Athán connaissait bien son camarade : c'était sa façon à lui de calmer son angoisse, il avait besoin de sentir le contact de son arme.

– Senge, répondit-il en posant fermement la main sur son épaule. Nous ne sommes plus à l'Académie. Nous ne sommes pas là pour seulement nous entraîner, mais pour remporter cette guerre. Alors je me fous de savoir qu'ils trouvent le temps long. Bientôt, ils regretteront cette quiétude.

Le soldat parut étonné par sa réponse. Athán n'en avait pas tout à fait conscience, mais ses quelques semaines l'avaient profondément changé : son arrogance s'était tempérée, le ton de sa voix était devenu plus solennel et son regard plus sombre. Était-ce dû à ses nouvelles fonctions ? S'était-il assagi sous l'influence de Chig Rohir ? Ou bien était-ce cet insoutenable sentiment de vulnérabilité qu'il découvrait tout juste ?

– Je sais bien, Votre Altesse. Mais, si je vous en fais part, c'est parce des rumeurs commencent à circuler, et certains soldats se posent des questions...

– Quelles rumeurs ? Et quel genre de questions ?

– Certains considèrent que cette histoire de carogne disparue ne les concerne pas, que ce ne devrait pas être à l'Empire de régler ça. Et d'autres ne comprennent pas ce qu'on fait encore ici. Ils pensent qu'on aurait déjà dû affréter les caraques pour Kungmaa...

Senge sembla hésiter, triturant le manche de son épée avec frénésie. Sans relâcher son regard du Chef des Armées, il reprit d'une voix moins assurée :

– Entre ceux qui doutent et les Myselthiens qui n'ont pas accepté la mort de leur congénère... Ça commence à pas mal jacter autour des feux. Pour autant, je ne fais que vous rapporter ce que j'entends... N'allez pas croire que j'en consens, Votre Altesse.

Athán resta songeur. Il aurait sûrement pensé la même chose à leur place, avec le peu d'informations qu'ils avaient. Mais leur donner plus de renseignements était risqué. Le peu de Myseltiens qui avait répondu à l'appel se soulèverait contre l'Empire pour défendre leur royaume. Et toutes les forces militaires de Dongāra n'étaient pas encore arrivées, il manquait un peu plus d'un millier d'elfes. D'ici une semaine, la situation serait différente. Mais d'ici là, il devait impérativement gagner du temps. Et ces soldats qui soutenaient Malbec représentaient une menace qu'il ne devait pas sous-estimer. Il suffit qu'un chien aboie pour que le reste de la meute s'y mette.

– Je comprends, déclara-t-il tout en réfléchissant à la situation. Je vais te charger d'une mission. Recruter des soldats pour me former une garde. Je veux les meilleurs de ce camp. Pas forcément de fins stratèges, mais d'excellents combattants, qui manient leur arme comme personne, capables de s'adapter à toute situation. Qui n'hésiteraient pas à me suivre jusqu'au monde des enfers sans poser aucune question. Réunis-les. Organise des combats, mesure-toi à eux. Je me chargerai alors de les sélectionner. Mais ne les abîme pas trop, la guerre approche.

Athán s'était attendu à ce que Senge montre quelques signes d'excitation, du fait de l'honneur qu'il lui faisait. Sans compter que c'était tout à fait le genre de mission qu'il affectionnait. Pourquoi diantre ne se montrait-il pas plus enthousiaste ?

– Cette mission n'a pas l'air de te réjouir.

– Ce n'est pas ça, répondit-il aussitôt en tournant son regard sceptique vers lui. C'est un privilège de recruter votre garde personnelle, j'en suis très fier. Je me demandais juste ce qu'il adviendrait de moi après.

– Je t'aurais volontiers proposé une fonction, mais il me semble que tu aspirais plutôt à suivre la voie de ton père en devenant chevalier.

– C'était le cas... avant.

– Ça ne l'est plus ?

– Pour cela, il me faudrait des années. Comme vous l'avez dit, la guerre approche. Je veux y avoir un rôle, pas seulement en tant que simple soldat. Je sais que je suis capable d'endosser de plus grandes responsabilités.

– Je n'en doute pas. Laisse-moi le temps d'y réfléchir. D'ici là, rassemble la meilleure garde que l'Empire n'ait jamais connue. Et fais attention à ce qu'ils me soient loyaux, je ne voudrais pas d'un autre Malbec dans mes rangs, ne recrute aucun chevalier, aucun officier, personne de gradé.

– Pour l'Empire ! s'exclama Senge en se donnant un brusque coup sur le torse.

– Pour l'Empire ! répondit le prince en l'imitant.

La menace de représailles était croissante depuis la mort du Myselthien, et en constituant une petite division de soldats directement sous ses ordres, il pourrait s'assurer une plus grande sécurité. Il espérait que cette élite, à l'instar de celle de son père, soit suffisamment redoutable pour être un modèle d'inspiration et de détermination.

Aucun Chef des Armées n'avait eu de gardepersonnelle jusque-là, mais aucun n'avait connu de guerre non plus. Dans cescirconstances bien particulières, modifier quelques rouages de cette énormemachine militaire devenait nécessaire.

LE DERNIER HÉRITIER - T1. La première guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant