Chapitre 26 - Dongāra (1/2)

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Après un périple de plusieurs semaines à travers les montagnes enneigées, Drukda Bhagya avait enfin atteint la cité mère des Dongāriens

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Après un périple de plusieurs semaines à travers les montagnes enneigées, Drukda Bhagya avait enfin atteint la cité mère des Dongāriens. Une nuit de sommeil et un bain relaxant, parfumé aux fleurs célestes, avaient suffi à le rendre présentable devant le Conseil des Doyens. Drukda avait à peine pris le temps d'échanger quelques mots avec son épouse, bien que ne l'ayant pas vue depuis plusieurs mois. Dès les premières lueurs du soleil, il avait commencé à gravir les centaines de marches qui reliaient la grand-place dongārienne à la plus haute pagode. Cette dernière dominait fièrement les éléments qui la jouxtaient.

Sous la clarté aveuglante d'un puits de lumière, le seigneur faisait face au regard faussement radieux des Doyens. Ils siégeaient chacun sur un imposant trône, formant un demi-cercle autour de leur représentant. La pénombre enveloppait leur masse encapuchonnée. Quant à leur visage, il était dissimulé derrière un étrange masque sculpté dans un bois opalescent. Leur blancheur réverbérait la lueur du jour, éblouissant encore plus le visiteur. Leurs yeux plissés par cette fausse allégresse créaient une discordance tout à fait malaisante, et le sourire douceâtre ciselé sur leurs lèvres de bois n'était guère plus réconfortant.

– Tu ne sembles pas avoir compris la question de mon confrère, s'éleva une petite voix perçante parmi les ombres des Doyens. Nous ne cherchons pas à appréhender les origines de cette guerre, mais plutôt la raison pour laquelle nous n'avons pas été concertés. Peut-être as-tu oublié qu'en tant que représentant, ton rôle n'est que de faire porter notre parole, et non de parler en notre nom.

– Je n'ai pas parlé en votre nom, bredouilla Drukda d'un ton mal assuré. L'Empereur n'a pas réuni son conseil pour déclarer cette guerre, il a pris cette décision seul. Et j'ai pensé, dans votre intérêt, qu'étant donnée l'importance des événements, il était préférable que je reste à Samrata plutôt que de l'abandonner pour vous consulter.

– C'est bien ce qui t'est reproché, récrimina une autre voix, plus grave. On ne te demande pas de penser. Ça, c'est notre prérogative. Toi, tu n'es qu'un messager.

– Je le sais bien votre honneur, approuva Drukda en courbant légèrement l'échine pour témoigner de son allégeance. Mais comment pourrais-je vous tenir informés, sans l'être moi-même ? C'est seulement à cette fin que je suis resté aussi longtemps auprès de Son Altesse.

– Dorénavant, tu nous feras parvenir un rapport écrit de chacune de tes conversations avec l'Empereur, reprit la petite voix aiguë. Nous voulons être avisés de tout.

– Votre honneur, balbutia Drukda en posant un genou à terre. Ce que vous me demandez est impossible. Jamais l'Empereur ne m'autorisera à envoyer des missives si importantes par aigle. Le risque que les informations tombent entre les mains de nos ennemis est trop grand. Surtout en temps de guerre.

– Il ne se contente pas de parler en notre nom, il répond aussi à la place de l'Empereur, constata un autre d'un air narquois.

– Soit, reprit la voix grave. Comme tu éprouves un irrésistible besoin de penser, tu seras en charge d'établir une liaison par le moyen que tu trouveras le plus pertinent.

Drukda fixait respectueusement le sol de ses yeux vifs, évitant soigneusement d'épier avec trop d'insistance leur masque énigmatique. Chercher à croiser le regard d'un Doyen aurait été perçu comme un terrible affront. Et les traits riants figés sur leur visage de bois ne lui auraient été d'aucune aide pour interpréter leurs intentions.

– Redresse-toi maintenant, le somma une quatrième voix. Nous t'avons convoqué pour nous entretenir avec toi d'un autre sujet.

Le Dongārien s'exécuta, intrigué. Il joignit ses mains devant lui et attendit patiemment que les Doyens daignent lui en dire plus. Ces derniers s'exprimaient toujours avec une lenteur solennelle que Drukda abhorrait suprêmement.

– Nous avons examiné ta demande de révocation du mariage de Jigme, reprit le Doyen. Au vu des circonstances, nous l'avons acceptée.

La silhouette de Drukda se déraidit sensiblement. L'elfe poussa un long soupir, ne cherchant en rien à dissimuler son soulagement. La disparition de la fille du Chef des Clans l'avait profondément courroucé. Mais l'idée de la voir réapparaître, déchue de sa vertu, et d'obliger son fils à l'épouser lui était encore plus insupportable.

– Ce n'est pas tout, ajouta l'un des Doyens. Nous avons réfléchi à ta demande concernant cet autre parti.

– C'est une proposition audacieuse. Mais comment pourrais-tu exploiter deux mines à la fois ? En plus d'exercer tes devoirs envers nous et l'Empereur.

– Il ne s'agit pas de moi, mais de mon fils. C'est lui qui hériterait de la production minière. Il nommera un intendant, comme je l'ai fait pour Dongāra. Avez-vous déjà eu à vous plaindre de ma gestion ? Le rendement de mon exploitation est deux fois supérieur à celui de cet embaumeur.

Des grognements s'élevèrent parmi les Doyens. L'aplomb et le franc-parler du représentant semaient le trouble parmi les cinq membres du conseil. Si certains étaient admiratifs et partageaient son ambition, d'autres n'appréciaient pas son effronterie, y pressentant une menace de leur autorité.

– Je vous ai proposé de doubler mon tribut, insista Drukda.

Un sourire conquérant semblait s'être dessiné sur les commissures de ses lèvres. Il savait que jamais il ne doublerait son rendement en acquérant l'exploitation d'Uttara, leur potentiel était bien en deçà de celui des mines de Dongāra. Mais il était prêt à sacrifier sa marge de plusieurs centaines de dards pour obtenir le monopole sur toute l'extraction de fer dongārienne, et presque de l'Empire.

– Il faudra le tripler pour que nous puissions l'envisager, siffla la petite voix perçante.

– Votre honneur ! s'exclama Drukda en s'efforçant de ne pas laisser sa colère empreindre sa voix. Vous savez très bien que les mines d'Uttara ne valent pas un tel tribut.

– Comme tu nous l'as fait remarquer, nous n'avons jamais eu à nous plaindre du rendement de ton exploitation. C'est pourquoi nous te pensons capable de relever ce défi. Mais si tu crois que c'est impossible, c'est que tu n'es peut-être pas la bonne personne. Peut-être devrions-nous trouver quelqu'un de plus ambitieux.

– Ma famille la gère depuis des générations. Vous ne trouverez personne de plus expérimenté dans tout l'Empire, contesta-t-il.

– Est-ce à dire que tu relèves ce défi ?

Un silence pesant s'ensuivit. La joie factice sculptée sur les masques des Doyens détonnait sourdement avec le visage fermé du Dongārien. Baignés par la lumière aveuglante du jour, ses traits s'étaient brusquement raidis, et une expression amère avait remplacé son sourire victorieux. D'un faible mouvement de la tête, il leur fit part de sa résignation.

– D'autre part, tu gèreras librement les deux exploitations, mais pour ce qui est de la vente sur le marché dongārien, un contrôleur que nous nommerons supervisera les comptes et fixera le prix du fer.

– Malgré tout le respect que je vous dois, je ne peux accepter vos termes. Vous me demandez de tripler mon tribut sans avoir la main sur les tarifs que je pratique ! s'emporta-t-il.

– Et pourtant, tu vas les accepter, objecta la voix sifflante. Crois-tu vraiment que nous allions te céder un monopole si conséquent sans nous ménager quelques garanties ? Réfléchis bien, pense à tout ce que tu perdrais en refusant.

– Et quels leviers est-ce qu'il me restera pour m'assurer une rentabilité ? Aucun. C'est plutôt en acceptant que j'aurai tout à perdre.

– Tu seras libre de pratiquer les prix que tu veux à l'exportation. Maintenant, arrête de t'apitoyer sur ton sort. Tu sais comme nous que cet arrangement peut faire de toi le seigneur le plus riche de tout les territoires de Dongāra, si ce n'est de l'Empire.

Drukda acquiesça en silence. Tout son êtrefrémissait d'une violente frustration. Il avait pris des risquesincommensurables pour mettre son plan à exécution, pour que sa famille détiennece monopole si convoité. Les conditions que les Doyens lui imposaient étaientun affront. Une énième tentative de lui lier pieds et poings.

LE DERNIER HÉRITIER - T1. La première guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant