Chapitre 51

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« Last Resort (Reimagined) » - Falling in Reserve

« 'Cause I'm losing my sight, losing my mind

Parce que je perds la vue, je perds la tête

Wish somebody would tell me I'm fine

J'aimerais que quelqu'un me dise que je vais bien

Losing my sight, losing my mind

Je perds la vue, je perds la tête

Wish somebody would tell me I'm fine

J'aimerais que quelqu'un me dise que je vais bien, je vais bien

Nothing is fine »

Rien ne va bien


Eléonore

Nettoyer... Frotter... Nettoyer... Frotter...

La peau rougie par la chaleur de l'eau, je frotte encore et encore pour effacer les traces de leurs mains sur mon épiderme. Sale. Tout est tellement sale. Je suis consciente qu'ils ne sont pas physiquement présents, qu'ils ne peuvent pas me faire de mal, mais je n'arrive pas à relativiser. Certes, je ne suis plus leur prisonnière, mais mon esprit demeure toujours là-bas, incapable de s'échapper. Ma raison sait, mais mon corps se souvient.

J'ai envie d'arrêter de prendre mes anxiolytiques. Bien qu'ils me tranquillisent en apparence, je reste bloquée entre deux mondes : tantôt shootée aux calmants, tantôt la fille violée et terrorisée... On pourrait croire que mes rêves sont envahis par mes bourreaux où l'image que je me suis construite d'eux. Non, c'est plus insidieux que cela, mes songes sont vides grâce aux neuroleptiques — merci le clonazépam(1) et le lorazépam(2) — mais pas réellement réparateur. Je suis aspirée dans un gouffre, un puits sans fond d'obscurité et de mal-être. Alors que mes phases de réveil, où devrais-je dire, de lucidité, sont peuplées de réminiscences de ce que j'ai vécu là-bas, de cette impression d'être sans cesse observée. Il suffit d'un toucher, d'une parole, d'un cri où même un simple ricanement, pour que mon esprit m'expédie dans cet enfer. Je suis épuisée d'être sur le qui-vive à chaque instant. Et ces cachets, je n'aime pas comme ils me transforment, broyé dans cette incapacité à discerner la réalité. Ils endorment mes émotions pour faire de moi un être amorphe, lobotomisé. Vide. À moins que ce soit la nouvelle moi.

Je ne sais plus qui je suis.

Je n'arrive plus à mettre un pied en dehors de la chambre sans trembler. Je ne souris plus, je ne supporte plus une main sur mon épaule, suis terrifiée au moindre mouvement brusque, au moindre rire masculin. Je suis comme une souris devant un chat : apeurée.

Yéléna estime qu'il est trop tôt pour que j'arrête le traitement, pense que je souhaite aller trop vite. Elle me soutient, pourtant, elle ne peut s'empêcher de m'avertir que c'est précipité. Je veux juste oublier. Enterrer tout ça et oublier.

Ça ne fait que cinq jours. Cinq jours qu'elle veille sur moi, change mes pansements, nettoie cet horrible stigmate apposé sur mon flanc droit : une croix gammée.

Ils m'ont marqué comme une bête, ont brûlé ma chair pour y laisser une putain de croix gammée.

Yéléna m'a dit qu'on pourra la couvrir avec un tatouage quand la cicatrisation sera terminée. Au moins deux ans à voir cette chose sur mon corps avant de pouvoir la masquer. Seulement, serais-je encore en vie d'ici deux ans ? Mon âme est morte, mon corps suit le même chemin.

Wild Wolves - DéloyalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant