Objectif édition #6

195 29 24
                                    

Aujourd'hui je vais vous parler de la partie que j'estime la plus intéressante et également une des plus importantes. Il s'agit de rendre son texte intéressant. Attention sur le terme intéressant tout de même. Chacun voyant midi à sa porte de ce côté-là, je vais revenir un instant sur le sujet.

Quand je dis intéressant, je veux dire qui réponde à un certain nombre de critères standards acceptés comme gage de réussite commercial. Voilà qui fait déjà beaucoup moins rêver. Mais on est là pour être honnête aussi hein. Alors réussite commercial ne veut pas dire que vous allez devenir riche en appliquant mes conseils (je le saurais). Ça veut juste dire que vous aurez plus de chance que les gens aient envie de lire votre histoire jusqu'au bout. Et là c'est très différent que de faire du fric. :)

Bref. Reprenons donc où nous en étions à l'épisode précédent.

Previously in...

On a vu qu'il était bon d'avoir un plan, des fiches personnages et je rajoute également des fiches pour tous les éléments redondants de votre histoire. C'est pas juste pour votre plaisir que les histoires de fantasy sont souvent accompagnées d'une carte. En général, l'auteur l'a d'abord faite pour lui. Faut pas rêver. Armé de toute votre encyclopédie sur votre monde (même en version bêta) vous avez commencé à écrire. En tout cas, comme on l'a vu, c'est comme ça que JE fais. Une fois que j'ai terminé mon premier jet, qu'est-ce que je fais ?
Plus rien ! C'est le repos du super guerrier.
Je passe à autre chose, bien souvent. Une autre histoire, ou l'intégrale de Matrix ou de 24. On s'en fiche mais autre chose. Pendant un minimum de 48h et sans maximum.
Pourquoi ?
Parce que la première relecture est très importante selon moi. C'est là qu'on va voir toutes les bourdes scénaristiques, les problèmes de rythme, les dialogues trop mous, les scènes qui ne servent à rien ou qui sont en trop et puis si l'histoire tient debout, tout simplement.

Redevenir vierge

Vous avez remarqué comme j'aime bien mettre des intertitres pourris dans mes chapitres ? Je m'éclate moi. Bref...
Donc, le but de la pause est avant tout de perdre la fusion qu'on avait avec l'histoire. Ce qu'on va faire n'est rien d'autre qu'un travail d'Alpha lecteur (ne cherchez pas ça n'existe pas). Et pour être dans de bonnes conditions, le mieux selon moi est quand même d'avoir oublié son histoire. Evidemment c'est impossible. Mais si vous avez suffisamment vidé votre esprit, vous redécouvrirez votre tapuscrit avec des yeux neufs. Et ces yeux-là seront beaucoup plus proches de ceux du lecteur final que ceux de l'auteur que vous étiez. Quand j'attaque ma première relecture, je suis donc super attentif. Je lis lentement et essaie de ne pas me perdre dans mon roman. Des fois, j'imprime et annote au crayon, des fois je le fais dans Word, mais dans tous les cas, mon texte d'origine est scarifié. Et plus il l'est, plus je suis content. Parfois, cette première version, je la fais relire à ma femme aussi. Elle sait être critique avec mes écrits et ne mâche pas ses mots. Et pour le coup, elle découvre vraiment l'histoire, elle.

Etre dur avec soi-même

Reprenons le premier chapitre de Khram. Dans ma première version, les filles se réveillent dans un hôpital et sortent le lendemain. Elle croise alors Morten qui les attend dans la rue et les accoste pour les emmener chez Célina qui habite à quelques pâtés de maison. Je rappelle qu'on est dans le futur assez lointain.
Une des premières choses qui m'a frappé quand j'ai repris ma lecture après un moment (plusieurs années rappelons-le) c'est l'absence de sentiments. On se serait cru dans un Dragon Ball ! J'adore dragon ball, mais je ne voulais pas de ce style-là. Je voulais qu'on puisse s'identifier ou au moins s'attacher à mes personnages. Qu'on tremble avec les filles, qu'on pleure avec elles... Pour ça, il faut du sentiment. Alors j'ai réécris la première scène. Là où avant, Crystal ouvrait les yeux et cherchait sa sœur, maintenant elle prend conscience petit à petit de son environnement et découvre qu'elle est dans un hôpital. Et puisqu'elle a dormi plus d'un millénaire, son cerveau est dans le gaz total, elle a un peu oublié qui elle est. Et puis, comme j'aime bien que tout soit crédible dans un monde proche du nôtre. On va dire que ses muscles sont incapables de la porter, ce qui serait sûrement le cas dans la vraie vie. Et comme je veux augmenter un peu l'impact de ce premier chapitre, je vais m'arranger pour qu'elle ouvre les yeux dans un hôpital très loin de la Terre, sur une planète où on ne parle pas sa langue. Et bien sûr, tout ça il faudra le justifier dans les deux chapitres qui suivent, au maximum en tout cas. Sinon ça fait un peu trop facile.
Mon but dans ce premier chapitre était de faire vivre le choc d'un retour à la vie. Et je voulais une empathie maximale avec Crystal. Elle devient donc le personnage central et presque unique de ce premier chapitre.
Mine de rien, ma première phrase « Crystal ouvrit les yeux dans un hôpital qu'elle ne connaissait pas », vient de passer à plus de mille mots juste pour qu'elle se souvienne de son prénom.

Petite parenthèse
Je parlerai probablement souvent de nombre de mots pour qu'on se rende compte de la différence entre avant et après. Mais le nombre de mots ne fait pas la qualité de l'histoire, soyons bien d'accord. J'avais lu un magnifique argumentaire de l'attelage (le fameux, là aussi y a de quoi faire un roman) qui prétendait avoir un travail digne d'un pro en faisant de nombreux ajouts à son texte et en passant une scène de 1000 à 4000 mots. C'est évidemment du grand n'importe quoi. On peut ajouter du texte à l'infini sans jamais améliorer la qualité.
Fermons la parenthèse.

Sur cette première phrase donc, et sur le premier chapitre en général, j'ai eu un travail de développement assez énorme. Ma première version était passablement pourrie, il faut bien l'avouer. Les idées étaient bonnes (selon moi) mais le traitement était trop rapide. J'ai survolé le sujet.
Ma première mission pour cette partie a donc été de rendre le tout crédible dans ma réalité. Je vous renvoie à l'article sur le sujet dans ce livre pour plus de détails. Plus je rajoutais de détails plus je devais faire de justifications, ce qui a rendu mon premier chapitre très volumineux. J'ai fini par le couper en trois en fait.

Etoffer et non étouffer

J'ai donc suivi le même cheminement pour tout le récit. Je suis ainsi passé d'une trentaine de page à plus de cent en quelques semaines, et ça juste pour la première partie. Mes trois premiers chapitres étaient devenus 13 chapitres. J'avais développé la relation entre les sœurs Gashira ; amélioré l'impression qu'elles étaient perdues dans ce monde et ça me semblait mieux. J'ai aussi ajouté des éléments plus annexes comme le langage, l'apprentissage de la magie que j'ai développé. Dans la première version, Crystal devenait super forte du jour au lendemain grâce à un tour de passe-passe que j'ai dégagé. J'ai vraiment beaucoup travaillé à faire de tout ça un univers viable et crédible. Les lecteurs me diront si c'est réussi bien sûr, mais je crois que c'est pas mal.
Cette première partie était donc devenue mastoc et c'est là que risquait de survenir le drame. Au final, il ne se passait plus grand-chose. Je reviendrais sur le rythme un peu plus tard, mais là, avant même d'avoir la suite je savais qu'il y avait un souci. Il fallait que je rajoute quelques petites péripéties. Je ne vous les révélerai pas pour ne pas Spoiler, mais j'en ai finalement semé quelques-unes. Au final, j'ai encore gagné des pages et des pages et j'ai pensé que c'était probablement trop. Pourtant j'ai laissé tel que pour l'instant. Il allait y avoir encore de nombreuses relectures, j'aurai largement le temps pour ça.

Ce qui me fait penser que ça fait déjà deux pages que je vous saoule avec ça. Je vais donc m'arrêter là pour aujourd'hui.

Au prochain numéro, je parlerais de la gestion des scènes et du découpage en trois axes. En parlant de ça, en média, une vidéo de Bernard Werber (merci à SandrineBandura) qui expose aussi ses petits trucs à lui.

Mon Tote BookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant