Un point de vue bien différent des événements

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[Point de vue de Jasmine]

Avec jalousie, j'observais les deux demeurés et leur petite copine amnésique qui batifolaient tranquillement à l'abri d'un arbre.

Leur espièglerie me rendait verte. J'étais coincée avec mon père qui avait une tête de déterré depuis plusieurs heures déjà, tandis qu'eux prenaient du bon temps sereinement.

Je savais que j'avais enfin eu ce que je voulais depuis des années, la présence de mon père à mes côtés. Mais je n'arrivais pas à m'en réjouir avec mon boulet de frère à deux pas de nous.

Car même s'il était présent physiquement, mon pauvre géniteur se prenait la tête avec ses antécédents familiaux et restait mentalement absent à longueur de journée.

Tout était de la faute de ce foutu châtain, sans lui, j'aurais eu une vie relativement normale.
Je n'étais pas dupe, j'avais très bien discerné l'état d'esprit de mon père.

S'il m'avait négligé au cours de mon enfance, c'était parce que le décès de ma mère avait fait ressortir ses vieux démons. Il s'était rappelé son histoire pathétique avec son ancienne compagne et la culpabilité avait refait surface.

Il s'était abruti de travail, pour ne rentrer que pour me faire à manger et repartir tout de suite après.
Même passé un millénaire, ce sentiment ne l'avait pas lâché, caché en lui, il avait empoisonné petit à petit les pensées de mon paternel jusqu'à le rendre totalement insensible. Il n'était pas arrivé à oublier cette femme.

J'étais lucide sur ce point, cela avait gâché mon innocence de jeune. J'étais à l'époque très curieuse, je ne comprenais pas son comportement dédaigneux et avait décidé de mener ma petite enquête.

En fouillant dans son passé, j'avais découvert le pot aux roses bien rapidement et je m'étais empressée d'exiger des réponses auprès de lui.


Seulement, il avait mal pris le fait que je fouille sans sa permission, les choses avaient ensuite empiré.
Il ne prenait même plus la peine de regagner notre domicile, me confiant aux mains d'une nounou certes gentil, mais bien naïve.

Elle s'était occupée de moi comme de sa propre fille, néanmoins, elle n'avait jamais réussi à me comprendre, mes problèmes, mes angoisses, ma colère... Tout avait été invisible aux yeux de cette dame.
Aussi, lorsque j'eus l'âge de l'indépendance, je l'avais congédié bien vite.

Si j'étais seule psychologiquement, autant rester seule tout court. Ainsi avait été ma logique. Je m'en étais bien sûr mordu les doigts au bout de quelques mois, je ne supportais pas ma solitude.

Heureusement, Luc, mon mari, apparut dans ma vie. Il m'avait appris à garder la tête haute et à reprendre confiance en moi. Il avait été mon sauveur, seulement, malgré cette précieuse aide, un profond vide restait ancré en moi.

Il me manquait quelque chose, je ne savais pas encore quoi à l'époque mais je l'avais su bien vite.

Un parent, il me manquait un parent.
Un père, une mère... Qui me console quand je suis triste, qui sèche mes larmes après un gros chagrin...

Je soupirais en repensant à ce sombre passé. L'unique rayon de lumière de mon existence avait été mon époux.

M'entendant souffler, mon père tourna la tête vers moi :

- Tout va bien ma chérie ? Demanda-t-il légèrement inquiet.

Avec un faible sourire, je le rassurais d'une pitoyable réponse, pas crédible pour un sou.

Il me lorgna suspicieusement, il ne me croyait pas mais décida de ne rien dire.

C'est alors qu'un sifflement attira mon attention, tout le monde se dirigea vers l'auteur du bruit.

Celui-ci attendit le silence avant de déclarer :

- La nuit arrive bientôt, nous devons installer le campement et envoyer des éclaireurs voir si nous pouvons trouver à manger ici. Y a-t-il des volontaires pour partir ?

Personne ne bougea ou ne pipa mot. Ce territoire hostile de nuit n'inspirait personne, même les plus courageux.

Indifférente à la situation, je restais vaguement à l'écoute quand j'entendis :

- Brian et Jasmine s'en chargeront.

Je me retournais choquée vers l'homme ayant prononcé ces paroles.
Qui se trouvait être mon géniteur.

Enragée, je m'avançais d'un pas rapide vers lui, menaçant d'un regard mon père.
Il ne céda pas face à mes yeux lançant des éclairs, pire, il ajouta même :

- Allez-y maintenant, ou vous rentrerez tard la nuit.

- Êtes-vous sûr Mr Egnar... ? Demanda craintivement le porte parole.

Tous connaissaient mon caractère volcanique, ils avaient peur de ma réaction.

- Certain. Coupa le professeur.

Je défiai du regard mon paternel qui soutena l'oeillade. Il me lança un avertissement d'un signe de tête. Je n'avais pas le choix, c'était un ordre et non une recommandation.

Je serrai mon poing droit en me plantant les ongles dans la peau.

Je capitulai finalement en grommelant qu'il me le payera bientôt.

La troupe m'entourant parût assez surprise que je me soumette aussi rapidement. Leur expression satisfaite ne me plaisait guère.

- Quoi ? Vous voulez ma photo ? Lançais- je agressivement.

Bizarrement, il détournèrent tous rapidement les yeux et vaquèrent au montage des petites maisons fonctionnelles.

Celles-ci qui étaient constituées comme les cubes instantanés pour les meubles, se transformaient en dix secondes chrono donc, pendant que moi je passerais le pire moment de ma vie, eux se la couleraient douce.

J'étais en fureur mais obtempérais en apercevant la mine de mon bourreau.

Sans attendre mon stupide frère, je m'éloignai de la foule et marchais nonchalamment dans cette ville verdoyante.

Mon petit frangin courut pour me rattraper, arrivé à ma hauteur, il ralentit et garda le silence. Ça m'arrangeait parfaitement.

Profitant du silence, j'admirais le lière serpentant sur les immeubles et les petits habitats, la verdure envahissante qui s'emparait même de l'intérieur des voitures. Des moyens de transports autrefois trop utilisés...

Je restais à la fois émerveillée et lassée de ce spectacle. Je pouvais voir des fenêtres brisées, des lampadaires écrasés au sol et les jardins abandonnés de leurs propriétaires, complètement ravagés.

Un beau mais bien triste tableau... Dire que tant de bonheur avait été présent en ces lieux... Mais il avait disparu... Rendu à néant par la cupidité et l'égoïsme de ce monde cruel.

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