Le ballet de la Barbe à papa

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[Point de vue de Lyra]

Zéro. Attention, décollage.

Un soubresaut emporta mon estomac, une légère sensation de vertige me prit tandis que le tas de ferrailles s'élevait dans le ciel. Le sol s'éloignait progressivement, sous mes yeux ébahis.

Cette délicieuse impression s'accentua quand le jet effectua une brusque descente -heureusement infime-, des papillons se mirent même à voleter dans mon ventre.

C'était la première fois que j'assistais à un événement pareil. Il se trouvait que lors de ma vie, je n'avais jamais mis un seul pied dans un appareil de ce genre. Tout nos déplacements étaient dictés par nos jambes ou les Huabanlun.

À présent, la machine avait pris une bonne hauteur, nous flottions désormais à une bonne distance du plancher terrestre, parmis les immenses boules de coton.

Je me délectais du spectacle s'offrant à moi, le ballet des nuages me fascinait prodigieusement. Sa chorégraphie impromptue était envoutante, presque hypnotisante.

C'est alors que le vague souvenir d'une brume envahissant Elbayorcni s'assimila à cette image.
À cette époque-la, j'étais bien jeune...
Le rappel d'une vague laiteuse et glaciale s'emparant voracement de ma ville me fit subitement frissonner.
Je dissipai la réminiscence d'un geste de la main et décidai de ramener mon attention sur une autre scène.

Ma vision constata instantanément la contraction extrême des mâchoires de Brian ainsi que de son état d'agitation. Ses mains étaient crispées sur les appui-bras, il avaient les yeux résolument fermés et le teint blafard. Tout ceci m'indiqua que quelque chose n'allait pas.

- Qu'y a t-il ? M'alarmai-je.

Ne le voyant pas me répondre, l'inquiétude commença à se former dans mon esprit. Que se passait-il pour qu'il soit si pâle ?

- Oh ! Le hélai-je plus vivement. Brian ! Tu ne te sens pas bien ?

Il entrouvrit les paupières avant de prononcer avec difficulté ces quelques mots :

- Désolé... Marmonna-t-il. J'avais juste oublié... Que j'avais le mal de l'air...

Un silence fut la seule conséquence de son malaise.

" Ah ? C'est juste ça ? Il m'a fait peur pour rien !  "

J'hochai mollement la tête et la retournais en direction de la vitre épaisse.
Je grimaçai car mon mouvement m'obligea à croiser les regards de nos deux voisins indiscrets, et à apercevoir leurs airs intéressées.
Dire que je les avais presque oubliés... Ne pouvaient-ils pas regarder ailleurs ces deux fouineurs ? Mes angoisses me concernaient moi et moi seule.

Étonnamment, comme s'il m'avait entendu, le duo tourna le cou comme un seul homme et reporta sa curiosité sur ma précédente source d'attention.

Je soupirai et fermai les yeux pour me détendre un peu. Et petit à petit, les sons n'arrivèrent plus à percer ma bulle de confort, tandis les mouvements autour de moi ne devinrent plus qu'un brouillard confus de bruitage ininterrompu.

*

Des cris de joie me déchirèrent les tympans, tels des millions de petites aiguilles s'enfonçant violemment dans mon cerveau. On aurait dit que des phacochères se faisaient égorger.

Je dus cligner plusieurs fois des yeux puis à fouiller du regard l'origine de ces horribles éclats de voix, si stridents que je craignais que mes oreilles ne s'en remettent pas.

Je devinai bien vite qu'il s'agissait des plus jeunes de notre petite troupe. Les responsables s'étaient visiblement un peu enthousiasmés pour une raison mystérieuse. Pourtant la cause de cet emportement soudain ne m'était pas vraiment inconnue.

En effet, un écran plat gigantesque s'était déplié du mur, nous renvoyant l'image d'un ensemble de bâtiment flottant librement dans le grand espace bleu.

Un sourire passa mes lèvres, mes yeux recherchèrent instinctivement ceux de Brian. Curieusement, celui-ci ronflait doucement malgré le tumulte extérieur, il dormait comme un bébé et tirait légèrement de la langue dans son sommeil. Je pouffai sans bruit à cette vision mais choisis de le laisser roupiller encore un moment.

Malheureusement pour lui, une secousse conséquente le fit rebondir de son dossier jusqu'au siège devant lui. Il s'écrasa rudement le nez sur le plastique et se réveilla brusquement, la main portée à son visage.

- Qu'est-ce-qui-se-passe ? Débita-t-il précipitamment. Une-bombe ?

Je me retins de rire, en me pinçant fortement les lèvres pendant que lui ronchonnait dans sa barbe, contre le bruit ambiant. Je me moquai gentiment de lui :

- Tu n'es pas très perspicace au réveil dis-donc.

Il grimaça à mon attention pour ensuite se frotter les yeux. Il papillonna des paupières et me lança un regard mécontent.

Je me détournai de lui et fis comme si de rien n'était. Seulement lorsque je le vis balader son regard dans l'appareil, je lui précisai immédiatement la raison de ce tintamarre.

Il fronça les sourcils en m'écoutant et jeta un coup à la télévision. Sans rien dire, il fixa intensément l'écran, restant aussi figé et impassible qu'une statue.

Cependant, dans ses pupilles, je voyais toute l'émotion qui l'emportait en ce moment même.
De l'espoir. Il avait l'espoir d'enfin retrouver sa bien-aimée, la prendre dans ses bras, la chérir...

À cette pensée, un pincement indescriptible serra étrangement mon coeur sans que je sache pourquoi.
Ce sentiment fut rapidement balayé de mon esprit, pourtant, il avait réussi à me troubler. Que m'arrivait-il ?

Le temps ne me laissa pas le loisir de réfléchir à la question, la télé nous restitua la vue d'un sol gris de rapprochant lentement de la caméra.

Sans que je m'en rende compte, nous étions arrivés au-dessus d'Elbayorcni, et tentions désormais de nous poser sur l'interminable toit du centre médical. L'avion était assez petit, nous devrions y arriver...

Le silence retomba soudainement lorsque la procédure d'atterrissage fut entreprise. Chacun retint sa respiration à l'approche de la toiture, et je constatai même que nous étions tous immobilisés par l'angoisse grandissante.

Cinquante mètres, il restait cinquante mètres.

Le tas de ferraille perdait en altitude, nous étions tous scotchés à l'écran.

Vingt mètres.

Le bâtiment était si proche, nous pouvions finalement frôler du doigt la réussite.

Deux mètres.

La tension était à son comble, un silence de mort régnait à présent, plus personne n'osait dire un mot.

Un mètre.

Je sentis un choc. L'avion roulait maintenant sur le sol, une pression s'exerça alors sur ma ceinture tandis que je sentais mon corps être attiré inexorablement vers l'avant.

Le freinage fut brutal. Je faillis même être projetée dans l'objet devant moi. Ce processus dura de longues secondes, interminables...

Puis la force arrêta de m'écraser, je pus me rassoir normalement dans mon fauteuil et reprendre mes esprits ainsi que mon souffle.

Nous étions à Elbayorcni !

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