Discours

18 5 5
                                    

[Point de vue de Brian]

Des cris parvenaient à mes oreilles, leurs sons s'amplifiant à chaque instant, au fur et à mesure que je m'approchais de la sortie.

Certains frappaient la porte, et il me semblait que le bruit ainsi produit se répétait inlassablement dans mon esprit, comme un tambour funeste.


Je sentis mon pouls s'accélèrer tandis que mes doigts se mirent à taper avec frénésie sur ma cuisse. Lyra qui se trouvait devant moi en garde du corps, sentit ma nervosité. Elle se retourna d'un coup, et apercevant mes pupilles dilatées, elle m'accorda un regard encourageant avant de continuer sa route.

J'appréciais sa compréhension, elle n'avait pas tenté de me dissuader ni de me décourager à faire quoi que ce soit. Elle comprenait ma volonté, et rien que son soutien me redonnait un minimum d'assurance.

Mais j'avais la désagréable l'impression d'être un de ces condamnés à mort à Rome, hué et sali par les injures pour la seule faute d'être un soi-disant traître de l'Empire.

La situation n'était pas bien différente, les personnes qui me calomniaient dehors m'en voulaient parce que j'étais une source de chamboulements pour leur petit monde parfait. Ils avaient trop peur de l'inconnu, de ce que je pouvais engendrer.

Je n'aurais jamais pu imaginer que dans ce monde fantastique, empli de technologies toutes plus incroyables les unes des autres, le mode de pensée de la population serait tombé si bas. Quelle ironie...

Après ce qui me sembla durer une éternité, je sortis enfin, à la vue de milliers de personnes. Je plissai les yeux sous le soleil perçant le ciel bleu.  Le contraste était prenant. Le beau temps s'opposait aux regards menaçants qui me transperçaient de toute part.

Mon tic reprit de plus belle alors que je m'avançais vers ces loups prêt à me dévorer tout cru. Des jeunes, des vieux, des enfants et même des bébés étaient venu pour me chasser. À cette prise de conscience, je sentis mes épaules s'abaisser peu à peu et mon dos se vouter, tel un vieillard écrasé par le temps, les épreuves, et la vie. Je trouvais qu'à mon âge j'avais déjà beaucoup trop vécu.

Je me retrouvai bien vite sur la scène improvisée face un brouhaha épouvantable.
Le doute et la peur s'infiltrèrent en moi, tel un poison mortel. Ma voix semblait s'être coincé au fond de ma gorge, impossible de la solliciter et pourtant, je devais me faire entendre !

Mais le destin s'acharna avec cruauté. Le coup fatal fut la pancarte tenue par une femme d'âge mûr ressemblant trait pour trait à ma mère, à environ un mètre de moi.
" Disparaîs de nos vies ! " était écrit en grosses lettres rouges. Je vis celle qui m'avait élevée avec tout son amour se superposer à cette inconnue. " Ma vie aurait été bien mieux sans toi. " me disait-elle.

C'était plus que je ne pouvais en supporter, mon courage disparut d'un coup et avec lui, mes espoirs.

- Ian... Brian ! Brian !

Je sursautai en entendant la voix de Lyra. Elle provenait de mon Earnano, je portai la main à mon oreille par réflexe.

"Qu'est-ce que tu attends Brian ? Cela fait déjà plusieurs minutes que tu es perdu dans tes pensées  ! Ils commencent à s'impatienter !"

" Je suis désolé... Pensais-je en jetant un coup d'oeil en arrière. Mon amie me fixait, les sourcils froncés. Je ne peux pas faire ça... "

" Comment ça ? Il y a à peine deux minutes tu étais monté à bloc ! Que t'arrive-t-il ? "

" Je n'en sais rien ! Je ne peux tout simplement pas. "

Lyra ne me transmit plus rien, je l'imaginait soupirer derrière moi. Découragé, je baissais ma main et m'apprêtais à les laisser me calomnier quand je sentis une main dans mon dos.

Je me tournai d'un mouvement brusque pour me retrouver face à mon amie. Elle me tendit un espèce de micro compact puis me transmit :

" Courage ! Même s'ils ont l'air menaçants, ils ne sont pas bien méchants pour la plupart. Ils ont juste peur, à toi de les rassurer ! Respire un bon coup et dis ce que tu as sur le coeur. "

Et avec un dernier regard, elle retourna à l'arrière.

L'électrochoc fut violent, je me redressai soudainement, et inspirait une bonne goulée d'air fraîche.

Effectivement, tout me parraissait plus clair à présent. Le mépris que j'avais détecté était en fait de la peur. Le bruit était leur manière de s'exprimer, et la pancarte ! J'arrivais maintenant à la comprendre, elle signifiait plutôt : " Ne nous nuie pas."

Je ne sais pas ce qui m'arrivait, mais soudain, un mécanisme s'enclencha. Ce qui me liait la langue relâcha sa pression, il me laissa enfin m'exprimer, sortir ce que je ressentais au fond de moi.

- Écoutez-moi ! M'exclamai-je avec autorité.

Le micro posé sur mon cou marchait à merveille. Le son fut nettement amplifié et je réussis à demander le silence sans grande difficulté.
Je chassais, d'un battement de cil, mon appréhension face à la foule devant moi et pris ma respiration.

- Je sais que vous n'appréciez pas ma présence dans votre époque si lointaine à la mienne. Pour vous je suis synonyme de bouleversement et de changement, comme tous mes semblables malchanceux.

Je marquai une pause afin de fixer du regard la population.

- Mais nous n'y pouvons rien ! Mettez-vous un peu à notre place ! Découvrir que mille ans étaient passés depuis la dernière fois que vous aviez mangé et que tous ceux à qui vous teniez étaient déjà morts ?

Les huées s'étaient un peu calmées. La confiance me regagna petit à petit. À présent, les mots sortaient tous seuls.

- Imaginez-vous, vous réveiller dans un monde inconnu, totalement différent de tout ce que vous avez pu voir de votre vie. Et, cerise sur le gâteau, vous découvrez que la population de cet univers veut votre peau simplement parce que vous êtes un étranger, soi-disant dangereux.

- Regardez-moi ! M'insurgeai-je soudain.

Certains firent un mouvement de surprise à mon exclamation spontanée.

- Regardez-moi ! Ai-je l'air d'un danger public ? Avons-nous l'air de vouloir détruire vos vies ? Nous n'avons fait aucun mal et pourtant vous vous évertuez à faire de nous vos ennemis !

Je soupirai afin d'abaisser la tension qui me crispai entièrement, de la mâchoire au pieds.

- On dit que les yeux sont les reflets de l'âme. Nous pouvons mentir mais pas nos yeux !  J'ai enfin compris après un long moment la raison de votre animosité. Vous avez peur. Peur de moi et de mes congénères. Peur que ce que nous avons vécu puisse changer votre gouvernement. Mais croyez-moi, nous avons des problèmes beaucoup plus importants que de nous occuper de ça.

Un silence de mort s'installa alors à mes mots. Plus un bruit, on pouvait presque une mouche voler. Gêné, je restais planté sur la scène, ne savant plus quoi dire, ni comment réagir.
Que faire ? Le regard des gens ne laissaient maintenant plus rien paraître, je n'avais plus aucun moyen de savoir à quoi ils pensaient.
De longues secondes s'écoulèrent, pendant lesquelles je me mis à fixer mes pieds avec insistance, comme pour leur demander de l'aide.

Finalement, ce fut Lyra qui réussit à me sortir de ce pétrin. Elle s'approcha de moi avec un sourire et ne tira par le bras. Trop déconcerté, je me laissai faire, lançant un dernier regard derrière moi.
C'était bien la dernière fois que je parlerai en public.

EternalsleepOù les histoires vivent. Découvrez maintenant