Un gars, une fille (2) ✔

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D'un œil vigilant, je surveille ma mère qui traverse la petite allée en clopinant, les béquilles sous le coude. Je la suis de très près, pendant que papa et Medhi regardent sous le capot de la voiture, en raison d'un bruit étrange qu'ils auraient tout deux discerné durant le trajet. Je les laisse examiner le vieux tacot pour accompagner maman jusqu'à la maison de mon ainé. Elle vacille dans sa démarche, manque de s'écrouler à tout instant, mais elle parvient tout de même à appuyer sur la sonnette malgré ses cannes qui la soutiennent.

Je la rejoins au moment où Sofiane nous ouvre. Il se penche vers elle pour la prendre directement dans ses bras.

— Hé, m'man, tu vas mieux ?

Elle rouspète contre son torse et roule des yeux. Mon frère ainé la relâche, le sourire aux lèvres et m'adresse un clin d'œil. Une barbe noire et bien broussailleuse a poussé depuis la dernière fois que je l'ai vu. Avec ses cheveux longs attachés en boule sur le haut de son crâne, ça lui donne un petit air d'homme des cavernes. Ce qui, au fond, représente plutôt bien sa personnalité, même s'il est loin d'être une personne très casanière.

Maman pénètre dans sa demeure tant bien que mal. Je la vois chanceler avant de reprendre son chemin comme si de rien n'était. Je grimace en même temps que Sofiane. Elle est déjà fatiguée des quelques mètres qu'elle vient de parcourir, de la voiture jusqu'à son logement, mais elle ne veut pas montrer qu'elle est à la limite de ses peines. Mon frère tente de l'aider en lui prenant le bras, seulement elle le repousse en fronçant les sourcils.

— Ça va, je ne suis pas handicapée, Sofiane !

Les bras ballants, mon grand-frère lui lance un regard dépité, tandis qu'elle lui tourne le dos pour se rendre dans sa salle à manger. Dans un soupir, je me dirige vers lui et le serre contre ma poitrine, sans réelle formalité.

J'inspire à fond son odeur boisée durant notre étreinte, je tente le tout pour le tout pour lui faire oublier le comportement buté de notre mère, et je sens ses mains se frotter doucement dans mon dos. Je me sépare de lui à contrecœur et lui adresse un sourire contrit. Son sourcil coupé tressaute, signe qu'il se sent encore contrarié par l'attitude de maman.

— Ne t'en fais pas, lui chuchoté-je dans l'oreille, elle va bien. Elle a juste trop de fierté pour te laisser l'accompagner.

Il m'offre un petit sourire, mais ce dernier n'atteint nullement son regard. Mon cœur se serre à cette constatation. J'oublie souvent que lui aussi a souffert de la maladie de notre mère, passant son temps en salle de boxe pour contrôler toute la colère et la peine qui émanaient de son corps. Il a eu beaucoup de mal à tout canaliser, comme il a eu quelques soucis de discipline pendant sa formation de pompier volontaire. Il a eu juste de la chance d'être tombé sur Marie à cette époque. J'imagine que, sans le vouloir, elle l'a aidé à lâcher-prise et à être devenu celui qu'il a toujours voulu être. Une personne profondément altruiste, un soldat du feu dévoué. Tout simplement lui.

Je suis tellement fière de lui. Tout son parcours n'a pas été facile, mais il a réussi au bout du compte. Et en plus, il va bientôt fonder sa propre famille avec la femme qu'il aime plus que tout. Si ça ce n'est pas une leçon de vie, une preuve qu'on peut forcer le destin, quand bien même ce dernier ne cesse de s'acharner sur nous. C'est une manière de se dire que tout n'est pas décidé à notre place, car oui, on peut choisir la vie qu'on veut mener. Il suffit juste d'être déterminé en plus d'être un minimum obstiné, comme lui. Et pour ça, je le prends volontiers comme modèle.

— Je sais, joli cœur, finit-il par répondre dans un souffle.

Il m'embrasse sur le sommet de mon crâne, je lui tapote le torse en retour. Mais cette fois-ci, son rictus espiègle atteint ses yeux noirs, et j'en comprends immédiatement la raison en me tournant vers la personne qu'il regarde avec dévotion. Je m'écarte de lui et me dirige vers la nouvelle venue. Marie quitte de la pièce à vivre, la mine resplendissante. Ses beaux cheveux blonds retombent gracieusement jusqu'à la rondeur de sa poitrine, ses pommettes roses sont toujours aussi rebondies, et ses iris semblent plus turquoise que d'ordinaire. Mais elle arbore dès à présent un petit ventre arrondi sous son pull mauve. Un petit changement qui lui va à ravir.

NOUS Au-delà des enviesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant