A cœur ouvert (3) ✔

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Je raccompagne mes deux petites protégées à la gare en compagnie de mon meilleur ami.

Je peine à garder les yeux ouverts. Leurs picotements sont tels qu'ils m'obligent à me frotter les paupières, qui d'ailleurs sont affreusement lourdes. Je vais m'écrouler par terre. Je le sens.

Mon corps proteste contre mon manque de sommeil. Mon moral ne cesse de chuter pendant que je déambule dans un espace bien trop grand pour ma petite personne. Ma fatigue est si démesurée que le sol me parait bien confortable pour m'allonger dessus. Encore faut-il que je parvienne à me laisser emporter par les bras de Morphée, ce dont j'ai échoué lamentablement cette nuit.

Je n'ai plus eu une aussi grande insomnie depuis longtemps. Il est vrai que je ne dors pas bien depuis quelques semaines, néanmoins j'arrivais tout de même à m'assoupir quelques heures. Cependant, cette nuit, elle m'a battu à plate couture, croupissant mes espoirs dans un tunnel sans fin.

Elle m'a laissé seul avec moi-même. Elle m'a forcé à méditer sur de sales idées.

J'ai essayé par tous les moyens de lutter contre elle : écouter une musique apaisante, regarder une vidéo ennuyante à mourir, trouver des paroles pour un nouveau morceau. Je suis même allé jusqu'à me donner un orgasme. Seulement, c'était perdu d'avance. Mes pensées étaient inlassablement dirigées vers la conversation que j'ai eue avec ma sœur. Je l'ai tournée en boucle dans ma tête, me renvoyant l'image de sa déception tel un coup de poing dans le ventre. J'ai essayé de brider ses mots sous une chape de plomb, mais c'était plus fort que moi, je n'arrêtais d'y songer et ça m'a empêché de fermer l'œil toute la nuit.

Malgré moi, je n'en reviens toujours pas que mon père ait pu faire autant de choses dans mon dos. Qu'il ait pu s'inquiéter pour moi ou qu'il ait pu subvenir à mes besoins, sans que je ne sache pourquoi et comment. On ne m'a jamais rien dit. On a scellé cette vérité pour éviter de me contrarier. On m'a mis de côté, on m'a laissé débiter des âneries à son sujet.

Je devrais me mettre en colère. Je devrais être furieux de toutes ces cachoteries, mais curieusement, je ne le suis pas. Non, je suis simplement sur le cul. Je ne sais plus du tout quoi penser de lui tellement cette révélation m'a sidéré. Je ne sais plus quoi faire. J'en viens même à douter de mes ressentiments à son égard, allant jusqu'à me demander si ma rancune n'est pas exagérée.

Mon amertume est si grande qu'elle m'a empêché de voir la vérité en face. Certes, son absence m'a blessé, les mots qu'il a prononcé avant qu'il parte m'ont lacéré. Mais malgré moi, malgré mes aprioris à son sujet, j'ai essayé de lui attirer l'attention, et pas souvent la meilleure des façons. Je l'ai toujours su, au fond de moi, j'ai juste trop fait l'autruche pour comprendre.

Je ne dis pas que ma rancœur n'a plus de raison d'être là ; elle n'a toujours pas quitté mes entrailles, c'est un fait. Je pense juste qu'elle a assez duré, qu'elle m'a trop pourri de l'intérieur. Lena a raison : je dois crever l'abcès pour de bon. Ma colère est devenue trop imposante, trop purulente. Elle m'empêche de prendre les bonnes décisions, elle m'empoisonne l'esprit. Néanmoins, je n'arriverais jamais à oublier ce qu'il s'est passé, avant et après son départ. Je reste indécis face aux choix qui s'imposent à moi.

Je suis paumé. Complètement.

Qu'est-ce que je dois faire, putain ?

— J'ai trouvé votre train, les filles ! s'exclame Maxim devant moi en me faisant sursauter, c'est la voie B !

Il leur montre l'écran au-dessus de notre tête qui affiche les horaires de départ. Sans un mot, ils partent en direction de cette fameuse voie B. Je les suis, un peu à la traine, non sans manquer de heurter quelques personnes qui croisent ma route. On emprunte l'escalator pour descendre au quai indiqué et c'est avec appréhension que je fixe l'énorme TGV qui attend ma sœur et sa meilleure amie. Je ne suis pas prêt. Pas aujourd'hui. Pas après cette nuit blanche. Je ne veux pas dire au revoir à Helena alors que je me suis habitué à sa présence. Je ne veux pas la quitter après notre embrouille de cette nuit.

NOUS Au-delà des enviesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant