Jour 665

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Sur le tarmac de l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, un Transal (Avion de transport de troupes) médicalisé finissait d'ouvrir sa soute pour libérer ses passagers alors que s'approchaient plusieurs véhicules médicaux et les familles des victimes. Ce furent au total trois fauteuils roulants et cinq lits médicaux qui sortirent du ventre de l'énorme aéronef, et les familles durent se retenir de se jeter sur eux pour des raisons de sécurité. Avançant avec autant de calme que possible, Antinéa vint rejoindre son fiancé toujours alité pour poser une main tremblante sur la tienne.

— Tu es rentré...

Arthur lui offrit son plus beau sourire et leva la main pour lui caresser la joue.

— Tu me manquais déjà trop...

Le couple rigola doucement avant que le blessé se crispe en se tenant le ventre.

— Putain... Ça fait mal...

— Comme ça, tu sauras ce que j'éprouve si j'ai une césarienne.

Arthur dévisagea la jeune femme avant de répondre.

— Moi, je n'ai pas eu le droit à la péridurale, ok...

Antinéa recommença à rire et Arthur la regarda comme s'il ne l'avait jamais vu. Ses longs cheveux fins devenant transparents dans la lumière du soleil couchant, ses yeux bleus et ses tâches de rousseur, son rire cristallin. Une perle rare, et elle s'était donnée à lui. Alors qu'il s'apprêtait à lui dire combien il l'aimait, sa mère s'interposa dans son champ de vision.

— Mon chéri, j'ai eu si peur...

Levant le bras, Arthur enlaça sa mère en murmurant.

— Tout va bien maman, ne t'en fais pas...

— Ah oui ? Alors pourquoi es-tu encore alité dans ce cas ? Et puis, en tant que mère, je m'en ferais jusqu'à la fin de ma vie !

— Je suis alité parce que j'ai été éventré et qu'il faut laisser le temps aux abdominaux de bien cicatriser... Quant au reste... Ca vire à la paranoïa...

— N'empêche que j'avais raison de penser qu'il pouvait t'arriver du mal !

— J'aurais aussi pu mourir en traversant la rue le jour de mon départ... Mais je sais que tu m'aimes.

Arthur sourit à sa mère qui le dévisagea avec étonnement avant de sourire chaleureusement, se retenant même de pleurer.

— Je vois que tu as bien changé...

Sans un mot de plus, elle lui embrassa le front avant de s'écarter, laissant la place à Vincent et Mégane. La jeune femme se pencha pour lui faire la bise puis les deux hommes s'étreignirent avec force et silence. Quand Vincent se releva, leurs yeux rouges trahissaient leur état, et ce fut d'une voix enrouée que Vincent demanda.

— Ça fait mal, hein ?

Opinant du chef, Arthur répondit en souriant.

— Un putain de mal de chien, même... Ça va me valoir une médaille ?

— Hautement probable. Tu sais... J'aurais sincèrement préféré qu'on affronte ça ensemble...

Arthur sourit avant de fouiller sous son oreiller et d'en sortir une enveloppe ouverte qui fit sourire Vincent tandis qu'il lui répondait.

— Mais tu étais avec moi.

Un médecin les héla tout en indiquant une ambulance et un infirmier intervint.

— Bon, désolé braves gens, mais il faut y aller. Un seul membre de la famille peut accompagner le patient.

Sans un mot, Antinéa fut poussée par sa belle qu'elle regarda avec surprise, avant de la remercier puis d'embarquer aux côtés de son compagnon. Quand les véhicules eurent quitté l'aéroport, Antinéa observa le jeune homme qui lui faisait face, cette étrange enveloppe dans la main et des larmes plein les yeux. Timidement, elle osa demander.

— Que... Qu'est-ce qu'elle contient ?

Pour toute réponse, Arthur la lui tendit, et elle s'en saisit pour en sortir une feuille recouverte de l'écriture gribouilleuse de son frère qu'elle entreprit de lire.

Salut frangin.

On est la veille de ton départ, et je ne trouve pas le sommeil. Il y a tant et tant de choses que j'aimerais te dire. L'amour et l'admiration que j'ai pour toi, la fierté que j'éprouve à me dire que tu es mon frère, bientôt mon beau-frère, l'oncle et parrain d'Elliot, l'oncle des autres enfants qui viendront, que tu me fournira des neuveux et nièces, et que, je le souhaite, un jour très proche tu seras mon SOA (Sous-Officier Adjoint, bras droit du chef de peloton).

Parce que, sans toi, je ne serais jamais allé aussi loin. C'est ta foi en moi qui m'a porté par-dessus tout ce que j'ai traversé. Tu as été la famille que je n'ai pas eue, ou pas telle qu'elle aurait dû être...

Tu vas, pendant six moins, vivre une expérience qui m'est inconnue, et pour laquelle en plus je ne pourrais t'être d'aucune aide... Alors tout ce que je peux faire, c'est te donner les deux bons qui vont avec cette lettre.

Prends soin de toi, Arthur.

Je t'aime

Vincent

Regardant dans l'enveloppe, Antinéa sortit deux coupons plastifiés.

Bon pour avoir une grosse paire de couille

Bon pour te sentir moins seul

La jeune femme ne put s'empêcher de rire, et Arthur la regarda en souriant.

— Il n'a jamais été loin de moi, quoi qu'il en dise.

— Je vois ça...

Sur le parking de l'aéroport, Vincent venait de finir de dire au revoir aux parents d'Arthur pour rejoindre Mégane dans la voiture, et celle-ci quittait la place de stationnement quand il demanda.

— Le bilan humain, ça dit quoi ?

Mégane se pinça les lèvres avant de répondre.

— Déjà, tu as vu Mendez... Il a perdu sa jambe, c'est fichu...

— Et pour toute la base attaquée ? Pour notre escadron ?

Mégane inspira un grand coup pour se donner du courage.

— Le Chef de Corps (Colonel commandant le régiment) envisage de nous dissoudre... Nous avons été presque intégralement annihilés... Il reste le PCL (Peloton de Commandement et de Logistique, l'état-major de l'escadron) et un demi peloton de base arrière, c'est tout...

— Je vois... Ton père peut empêcher ça tu crois ?

— Je lui ai demandé. Pourquoi ?

Les yeux dans le vague, Vincent répondit d'un ton neutre.

— Je connais une belle bande de tarés qui serait ravie de venir chez nous.

Mégane l'observa à la dérobée avant de murmurer.

— Dans une arme aussi peu prestigieuse que la nôtre ? Surprenant...

Un sourire aux lèvres, Vincent se retint de rire.

— Je crois qu'ils ont compris que les armes blanches pouvaient aussi être dynamiques en fonction de qui on a à faire...

Mégane eut beau insister, elle n'obtint rien de plus de lui de tout le trajet, même si elle se doutait de ce qu'il pouvait préparer. Le Lendemain à la première heure, Vincent prenait le train pour retourner à Coëtquidan, sa permission exceptionnelle pour le retour d'Arthur touchant à sa fin.



Comment J'Ai Épousé Mon Commandant d'UnitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant