Jour 2534

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Les jumeaux avaient deux mois quand Vincent apprit une terrible nouvelle. Sa grand-mère, qui n'avait pas encore pu voir les nourrissons, venait d'être admise en urgence à l'hôpital en raison d'un cancer des poumons diagnostiqué tardivement et progressant trop vite. Le samedi qui suivi cette information, Vincent et Mégane prirent la route avec les enfants pour se rendre à l'hôpital la voir, Mégane conduisant, Vincent étant trop perturbé pour y arrivé.

Cette femme avait toujours été un refuge, un havre de paix et un paradis d'amour pour lui, il l'avait même toujours plus perçu comme une mère que sa propre mère, et maintenant qu'il risquait de la perdre, il regrettait de ne pas lui avoir consacré plus de temps. Et alors que les souvenirs lui revenaient à l'esprit comme autant de bulles de champagnes atteignant le sommet de la flute les contenant, la voiture filait bon train.

Quand le véhicule fut stationné, Vincent déplia la poussette gémellaire et Mégane et lui y posèrent les couffins tandis qu'Elliot tirait sur son col de chemise en bougonnant.

— Papa... Grand-Mamie va vraiment aimer que je suis en chemise ?

Mégane répondit à la place de son époux trop ému pour dire quoi que ce soit.

— Elle va adorer. Mais si tu l'appelle Grand-Mamie, elle va te tirer les oreilles ! Même si elle a quatre-vingt-onze ans, elle se considère encore jeune.

Quelques minutes plus tard, et après avoir négocié comme un marchand de tapis avec le personnel hospitalier qui ne voulait pas voir des nouveau-nés et les risques sanitaires qu'ils représentent entrer dans la chambre, Vincent put enfin embrasser sa grand-mère, non sans avoir marqué un temps d'arrêt en la voyant. Elle était terriblement amaigrie, ses yeux étaient injectés de sang et son teint jaunâtre, tandis que ses magnifiques cheveux avaient laissé place à une peau nue tacheté d'hématomes.

— Mes chéris, je suis si heureuse de vous revoir. Elliot, vient me faire un câlin.

Le garçon ne se fit pas prier et monta sur le lit enlacer son arrière-grand-mère une longue minute avant qu'elle reprenne.

— Alors Mégane, pas trop épuisée ?

— Non, ça va. Et puis Vincent est très actif auprès d'eux, et dans la maison dans sa globalité. Je suis littéralement traitée comme un coq en pâte.

— Tant mieux, sinon j'aurais dû lui botter les fesses. Montres-moi tes œuvres d'art.

Mégane et Vincent sortirent les jumeaux pour les poser dans ses bras, et ceux-ci s'éveillèrent immédiatement pour sourire, ce qui entraîna celui de Vincent.

— Tu vois ça ? Même eux t'aiment déjà.

La vieille femme affichait quant à elle un sourire plus triste, comme déçue de savoir qu'elle ne profiterait pas d'avantage de ses trois arrières petits-enfants. Quand elle dévisagea Vincent, les yeux rouges, elle lui demanda d'une voix enrouée par le chagrin.

— As-tu enfin trouvé ta place dans ce monde ?

Un sourire triste aux lèvres, Vincent répondit.

— Oui, je le crois. Je suis épanouie dans ma vie de famille comme dans ma vie professionnelle, et j'ai appris à choisir mes combats. Maintenant, je me bats pour eux quatre, pour leur offrir un monde meilleur.

Sa grand-mère opina du chef.

— Bien, alors il est tant que je te passe le flambeau. Ouvres ma table de chevet, s'il te plaît.

Vincent fronça les sourcils avant de s'exécuter et de sortir un vieux livre épais à la couverture en cuir usé par les années. Lorsqu'il le vit, les larmes lui montèrent immédiatement aux yeux.

— Non... Non mamie, je ne peux pas...

— Et pourquoi pas ? Tu n'as jamais appris à écrire ?

— Ce n'est pas ça... C'est le livre de la vie, le livre familiale... Je ne peux pas l'avoir encore, tu n'es pas... Tu es encore... Je...

Souriante, la malade cala les jumeaux dans un seul de ses maigres bras avant d'enlacer Vincent de l'autre.

— Écoutes-moi, grand nigaud, il n'est pas nécessaire de le transmettre à la mort. Je te le donne maintenant parce que je te pense prêt. À ton tour d'écrire ton histoire, ton aventure, maintenant que tu lui as donné vie. Et quand tu penseras que la personne devant te succéder sera prête, tu lui donneras à ton tour, d'accord ?

Vincent renifla bruyamment avant de répondre par l'affirmative, et la vieille dame ajouta.

— Et pour une fois, appliques-toi quand tu écris...

— Oui mamie...

L'arrière-grand-mère se tourna ensuite vers Mégane avant de murmurer.

— Reprends ces petits anges avant de m'enlacer, s'il te plaît...

Mégna recoucha des bébés babillants avant d'obéir.

— Merci de l'avoir éveillé à lui-même... Et ne dis pas que ce n'est pas toi. Tu lui as donné tout ce qu'il cherchait et même plus. Tu es son ange gardien...

— Merci madame... Mais son premier ange gardien, c'était vous...

La grand-mère sourit avant d'embrasser Mégane, puis attrapa Elliot avec délicatesse.

— Tu sais ce que ça veut dire, être un grand-frère ?

Le garçon opina du chef.

— Être un exemple.

— Oui mon chéri... Un modèle, même... Je peux compter sur toi ?

— Oui grand-mamie ! Je serais le meilleur !

— Je n'en doute pas... Tu es le digne fils de tes parents.

Elle l'enlaça une ultime fois avant de reporter son attention vers Vincent.

— Je vais me reposer un petit peu maintenant... Alors viens me faire un dernier calin...

Vincent l'enlaça avec forte tendresse, et sa grand-mère murmura.

— Je suis fière de toi. Et je t'aime, n'en doutes jamais.

— Promis...

— Bien. J'espère que vous repasserez très vite.

— Oh que oui. On t'aime tellement.

Vincent et elle s'embrassèrent puis il lui remonta les couvertures, et la famille quitta la chambre et referma la porte. Ils s'apprêtaient à rentrer dans l'ascenseur quand le personnel médical courut à la chambre de la made, et Vincent s'immobilisa, un masque d'effroi sur le visage, avant de planter Mégane et les enfants et de partir en courant vers la chambre. Quand il entra, il vit les infirmières et le médecin tenter de ranimer sa grand-mère, et les larmes se mirent à couler en cascade tandis qu'un détail lui sautait aux yeux. La voix rauque de celui qui essaie de se contrôler, il s'exprima avec calme et autorité.

— Arrêtez. Vous ne la ramènerez jamais.

La médecin la dévisagea avec surprise et il ajouta.

—Elle nous a fait ses adieux, elle n'attendait plus que nous... Regardez-la... Elle est partie avec le sourire aux lèvres... Laissez-la... S'il vous plaît...

Le personnel échangea quelques regards avant de s'écarter du corps, et la médecin annonça l'heure du décès avant de se tourner vers Vincent.

— Vous voulez rester un peu avec elle ?

Il s'avança et lui remit correctement les draps avant de l'embrasser sur le front en lui murmurant qu'il l'aimait, puis se redressa et sortit de la chambre sans un mot, pleurant silencieusement. Quand il arriva à la voiture, Mégane comprit immédiatement que tout était fini, et même Elliot alla prendre la main de son père en lui demandant.

— Mamie est un ange ?

Vincent s'agenouilla à hauteur de son fils avant de répondre.

— Oui... même si pour moi, elle l'a toujours été...


Comment J'Ai Épousé Mon Commandant d'UnitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant