Twins

Chapitre 4

Je passe les deux grandes portes vitrées et me retrouve dans un hall bondé de lycéens. 
Je m'éclipse vers un couloir moins agité au moment où la sonnerie retentit. Je me dépêche de demander mon chemin à la première personne que je croise et arrive finalement à atteindre le bureau de la proviseure plus rapidement que je ne l'aurai cru. Je prends dix secondes pour me recoiffer et souffler un bon coup avant de toquer énergiquement. Une voix m'intime d'entrer et j'ouvre la porte sur une femme asiatique d'une quarantaine d'années. Son chignon noir tiré à quatre épingles, sa jupe crayon, son blazer et sa chemise lui donne un air strict mais son sourire est plutôt rassurant. Je constate en face de son bureau, un siège vide qui m'est naturellement destiné et un autre occupé par un garçon aux cheveux très blonds. Il lève la tête vers moi et me sourit timidement.

-Bonjour, tu dois être Marylou, enchanté.

Elle me tend sa main que je serre maladroitement avant de m'assoir.

-Je suis madame Wang, la proviseure de ce lycée. Et je te présente Isaac, il est dans ta classe et je l'ai chargé de faire en sorte que ton intégration soit la meilleure possible. Donc bienvenue à Colombia ! s'exclame-t-elle en tapant dans ses mains.

Son enthousiasme ne semble pas très proportionnel à la situation, si bien que cela en devient comique. Je jette un coup d'œil au garçon à côté de moi et remarque qu'il se mord la lèvre, à deux doigts d'exploser. Je ne peux retenir mon souffle, et pouffe de rire.

-Tout va bien mademoiselle ? 

Je me gifle mentalement et fais marcher ma matière cérébrale pour trouver une explication plausible au plus vite.

-Hum, oui, juste un chat, toussote-je, dans...la gorge.

Elle semble marcher puisqu'elle acquiesce et retourne à son clavier. Je décide de ne plus me tourner vers le blondinet pour éviter les ennuis.

-Bon, visiblement, il me manque certains papiers et cette machine ne daigne pas me les imprimer. Il faudra que tu passes à l'administration ce midi.

Elle me donne ensuite deux papiers à remplir ainsi qu'un stylo et je m'exécute.

-Vous venez d'emménager, c'est bien cela ? me questionne-t-elle alors que je lutte avec mon cerveau pour retrouver le nom de notre nouvelle adresse.

-Oui. 

Ma réponse monosyllabique ne semble pas la satisfaire, alors je me force à continuer sans trop en dire pour autant.

-Nous sommes arrivés dimanche.

Dieu merci, elle ne me demande rien d'autre.

Je laisse mon regard divaguer dans la salle et scrute les différents objets de décorations. Une étagère complète de la grande bibliothèque murale derrière le bureau de madame Wang est consacrée à des coupes et trophées. Je me souviens alors que le lycée tient sa renommée à son équipe de rugby.

-Je me suis penchée sur tes derniers relevés de note et je te précise que des cours de soutiens sont à disponibilité pour chaque matière si tu estimes en avoir besoin.

Je hausse un sourcil sur la défensive, sans pouvoir déterminer s'il s'agit d'une simple indication ou d'un conseil.
Elle finit par me remettre mon carnet de liaison ainsi que mon emploi du temps, puis se relève de sa chaise.

-N'hésite pas à me demander quoique ce soit. Naturellement, je sais que tu pourras compter sur Isaac pour rattraper ton retard. C'est un bon élève et j'ai confiance en lui.

A son tour de s'étouffer discrètement.

-Isaac va se charger de te faire visiter le lycée et vous pourrez tous les deux assister au cours de la deuxième heure. Bon courage Marylou.

Je la remercie, lui donne une nouvelle fois une poignée de main assez bancale et sort du bureau, suivi de près par le guide qu'on m'a imposé. J'aurai aimé éviter une quelconque interaction sociale pour le moment. C'est trop tôt. Or je n'ai pas le choix et me résigne en soupirant.
J'observe ce dernier sortir une casquette et la poser à l'envers sur sa tignasse blonde avant de tourner son nez retroussé et ses billes chocolats vers moi. 

-Prête ?

J'acquiesce et le suis.

Nous parcourons le lycée de fond en comble et je prends conscience de l'immensité des différents bâtiments. Mon sens de l'orientation limité va prendre un moment avant de se retrouver dans ce véritable labyrinthe.
La compagnie d'Isaac n'est pas désagréable. Il me montre  la cafétéria en me recommandant, au passage, de ne jamais y acheter de bagels. Il me dit que Sam en a mangé un une fois et qu'elle a vomi en plein TP de physique, dans le bac à dépôt. Je ne prends pas la peine de lui demander qui est Sam et l'écoute plutôt se plaindre sur le cruel manque de frites à la cantine. 
Je parle peu, mal à l'aise. Malgré ma volonté de communiquer et de me faire des amis je n'ai jamais été bien forte dans ce domaine. 

Nous sortons dans la coure et il m'entraine vers l'imposant terrain de rugby qui baigne le bâtiment scientifique. Des élèves y font déjà des tours de terrain matinaux. 

-Un rugbyman, j'aurai dû m'en douter, murmurais-je soucieusement pour moi même.

Or, ce commentaire n'échappe pas au blondinet. Alors qu'il aurait pu me prendre pour une folle à parler toute seule, il me gratifie d'un sourire. 
La sonnerie signe la fin de la visite. Nous nous dirigeons vers notre prochain cours que dieu merci nous partageons. Loin de moi l'idée de ne pas être seule, je doute qu'Isaac m'adresse de nouveau la parole une fois sa mission achevée. Je ne vois pas ce que la nouvelle paumée et muette pourrait lui apporter. Le fait que nous ayons cours au même endroit m'évite de tourner en rond dans les couloirs

-Alors, que penses-tu de notre lycée ?

-C'est très...grand.

Je grimace face à mon cruel manque d'inspiration. Je suis incapable de tenir une conversation.
Bien évidemment, le destin a voulu que mon premier cours soit un cours de mathématiques et que la salle se situe à l'exact opposé de l'endroit où nous nous trouvons. Je joue des coudes face à l'affluence lycéenne pour atteindre le bout de l'allée principale et tourne à droite. Manque de pot, Isaac me retient par la hanse de mon sac et m'indique la direction opposée. Il se place derrière moi, pose ses mains sur mes épaules et me dirige dans l'établissement. Mon corps tout entier se tend face à ce geste pourtant affectueux. Tu as un problème ma pauvre fille.

-Stressée ? souffle-t-il en atteignant la porte.

-Peut-être bien,  répondis-je le regard posé sur la salle déjà bien remplie.

-T'en fait pas ça va bien se passer. Mr Druffus n'a encore mangé personne.

Il me fait un clin d'œil avant de s'enfoncer dans les rangs. Sans un regard pour personne, je fonce droit vers le bureau du professeur. 
Ce dernier prend plusieurs minutes avant de me considérer.

-Tu dois être Marylou Mar...ti...nes ?

Pourquoi buter sur chaque syllabe d'un nom de famille aussi simple ? 

-Bah quoi, on ne va pas tous s'appeler Smith.

Ma tentative de détendre l'atmosphère n'est pas très concluante puisque Mr Druffus m'observe en fronçant les sourcils alors que le silence règne dans la classe. Il m'indique finalement une place au deuxième rang près de la fenêtre. Je m'y installe et lance un regard à ma voisine de table qui prend à peine deux secondes pour m'analyser avant de retourner à sa lime à ongles. Sympa.

-Nous en sommes arrivés au chapitre sur l'arithmétique. Je compte sur toi pour rattraper toutes les leçons, me signale le professeur en allumant la lumière du tableau.

Je ne bénéficie plus d'un seul regard durant tout le cours. En même temps, ce n'est pas dans mes habitudes de participer, surtout en math. Je somnole durant mes deux heures de mathématiques puis mon heure de science, sans adresser à personne un traitre mot.

La sonnerie qui indique la fin des cours du matin me fait revenir sur terre et je souffle de soulagement. Quoi que la perspective de ce midi solitaire n'est pas des plus attrayantes non plus.