Chapitre 6

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Mon carnet s'échappe de mes mains et je me baisse pour le ramasser en bredouillant quelques excuses, encore. Lorsque je me redresse et lève la tête, je tombe nez à nez avec le garçon qui était au téléphone devant chez moi hier soir. Ce lycée est décidemment plein de surprises, notez l'ironie. Malgré la pénombre, j'avais pu constater sa mâchoire carrée et la couleur noire ébène de ses cheveux. Constatant que je le dévisage, je détourne vivement les yeux alors que les siens se perdent volontiers sur le haut de mon crâne et sur ce que je devine être la grosse bosse sur mon front.

-Tu devrais lever la tête plus souvent, minimoys.

Mon visage se ferme tandis que le sien s'illumine d'un sourire malicieux qui vient creusé ses deux joues. 

-Ce qu'il y a sur ton carnet est plus intéressant que ce qu'il y a autour de toi ? 

-Ce qu'il y a autour de moi serait bien plus intéressant si tu n'étais pas dans mon champs de vision.

C'est sorti tout seul. Mes mots ont traversé la barrière de mes lèvres sans que mon cerveau ne l'autorise. Il hausse les sourcils et je ne peux étouffer une pointe de satisfaction.

-Tu ne semblais pas de cet avis hier soir. 

Je déglutis et perds mon assurance. Je ne suis pas la seule à l'avoir reconnue.
Je romps précipitamment notre contact visuel, me maudissant d'avoir répondu et me dépêche de le contourner avant de devenir plus rouge que je ne le suis déjà. Alors que je me retrouve une nouvelle fois face au couloir vide, je me résigne à prendre mon courage à deux mains et l'interpelle.

-Hé, elle est où la salle 210 ?

***

Lorsque je pénètre dans ma maison, le ventre complètement affamé, deux voix distinctes que je connais bien se hurlent dessus. Quelle ambiance. La vie en ville n'est pas si différente de celle à la campagne. J'avais secrètement espéré que le déménagement calmerait ces accrochages, d'autant plus qu'ils commencent généralement par quelque chose de très futile. Je déteste entendre mes parents se disputer.

-Hey, lancais-je doucement pour leur signaler ma présence.

Ma mère se retourne brusquement, une main sur le cœur, et affiche le plus grand sourire forcé que je n'ai jamais vu. Elle a toujours fait en sorte que je n'assiste pas à leur disputes, mais ne s'est jamais rendue compte que les murs de notre vieille maison de campagne n'étaient pas très insonorisés. Elle s'efforçait de sourire devant moi, mais ses yeux remplis de larmes gâchaient toujours ses efforts. Mon grand-père s'est barré lorsque ma mère était petite. Elle a été élevé tant bien que mal par ma grand-mère, sans figure paternelle et avec un bien maigre revenu. J'ai toujours eu un peu de peine pour ma mère. C'est une femme forte mais qui n'a malheureusement pas eu le choix de le devenir.

-Oh, coucou chérie, alors ta première journée ? me demande-t-elle d'une voix mielleuse en arrangeant sa coiffure, comme si de rien n'était.

Je lance un regard interrogateur à mon père qui souffle péniblement. Il finit par monter, prétextant avoir un problème avec une lampe à l'étage et nous laisse toutes les deux. Chaque membre de cette famille est plus borné et têtu l'un que l'autre.

-Ça va, c'est très grand et j'ai un peu de mal à m'y retrouver, mais ça s'est bien passé.

Je ne relève pas la dispute que je viens d'interrompre car cela la rendrait encore plus mal à l'aise qu'elle ne l'est déjà.

-Tu me racontes ?

Je n'ai pas vraiment la tête à ça. Je préfère lui dire que j'ai beaucoup de cours à rattraper et que je lui expliquerais tout plus tard. Elle est déçue et je le sais, pourtant, je prends de quoi manger et monte dans ma chambre, sans scrupules.
Je n'ai pas tout à fait menti, j'ai vraiment beaucoup de choses à rattraper. Je bouffe des maths et de l'anglais pendant deux heures mais fait une overdose à la simple vue de mes devoirs de sciences. Mes yeux se posent alors sur mon piano et je ne mets pas longtemps à me diriger vers mon tabouret et à ouvrir le clapet du clavier. Lorsque je me pose comme ça au piano, je sais que j'en ai pour plusieurs heures. Je ne compte plus tout ce temps passé à martyriser les touches, gribouiller sur mes partitions et pleurer de chaudes larmes en jouant. Cette caisse de résonnance est mon échappatoire.  C'est libérateur.

***

Mon réveil sonne à huit heures tapantes ce matin et malgré mon envie irrépressible de me rendormir, je sors de mon lit et descends à la cuisine. Une fois mais pas deux, aujourd'hui, je déjeunerai. Je retrouve mon père, déjà lavé et habillé,  mangeant une clémentine. Il me sourit chaleureusement et me dit bonjour sans une once de pensée pour les évènements de la veille. Mais je ne lui fais pas la tête. Je passe outre et me compose une petite salade de fruits tout en lui racontant ma journée d'hier. Lui aussi était bien curieux de savoir comment elle s'était passée.

-Au fait, je voulais te parler de quelque chose.

J'acquiesce, l'incitant à continuer.

-Et bien, lorsque nous avons fait le tour de la ville avec ta mère, on a repéré un conservatoire à deux pas d'ici.

Si prévisible.

-Papa, le coupais-je froidement.

-Je ne te force en aucun cas à y aller. Tu sais que c'est ta mère qui...enfin bon je te préviens juste car elle risque d'aborder le sujet.

Je grimace. Bien sûr que j'y ai pensé, cependant je ne pensais pas que cela irait aussi vite. 

-Prends au moins le temps d'y réfléchir. Ok ?

Je soupire avant de hocher la tête. Je n'ai pas envie d'avoir cette conversation maintenant.
Même si je ne suis pas en avance, je décide d'effectuer le trajet à pied. Et je dois bien avouer que c'est très agréable. La météo est assez clémente et malgré le vent, le soleil donne déjà ses plus beaux rayons.
Alors qu'il ne me reste plus que cinq minutes de trajet, j'aperçois au loin un bout de mer et décide de m'approcher quelques secondes. Il n'y a pas grand monde à cette heure-ci, seulement quelques joggers et visiteurs matinaux. La plage est tellement plus agréable comme ça, sans l'effervescence de la ville et les touristes. Il n'y a pas à dire, habiter près de la mer est un luxe exquis.
Ma petite escapade ne me permet d'arriver au lycée que lors de la sonnerie. Les cinq minutes que je m'étais accordée pour trouver ma salle sont écoulées et je me retrouve au milieu des couloirs bondés. Au lieu de perdre du temps à chercher dans tous les sens, je me rends au seul endroit que je sache situer : l'administration. Là-bas, je demande poliment mon chemin. Une fois au troisième étage, je cherche ma salle, la 120. La deuxième sonnerie a déjà sonné et il n'y a plus grand monde dans les couloirs. J'avance droit devant moi et découvre successivement, les salles 118 et 119. J'en déduis que la salle 120 est juste à côté et ne prends pas la peine de regarder le numéro inscrit sur la porte. Je me penche plutôt sur mon carnet pour prendre connaissance du nom du professeur.

-¡ Holà ! lance-je joyeusement en ouvrant la porte avec énergie.

On ricane dans la salle et je relève la tête en fronçant les sourcils. Je reconnais dans la classe la grande brune d'hier et ce qui me semble être mon voisin aux cheveux de jais. Le rouge me monte aux joues.

-On n'est pas en espagnol ? balbutie-je plus pour moi même que pour les autres.

Je me tourne ensuite vers le professeur et découvre avec stupeur qu'il s'agit d'une femme.

-Et, je présume que vous n'êtes pas Mr Brent ?

Elle me fait non de la tête, embarrassée, et je manque de me décomposer de honte. J'ordonne à mes jambes de déguerpir au plus vite.

-¡ Adios !

Je ne me rends compte de ma bêtise qu'en sortant de la salle. Quel magnifique début de journée !

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