Chapitre 65

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Aucun reproche. Aucune remontrance. Aucune punition. Rien.

Ça parait totalement irréel au vu de la situation.
Et pourtant, lorsque j'ouvre les yeux le lendemain matin et que les souvenirs de la soirée de la veille me reviennent en mémoire, je suis bel et bien en train de réaliser que je n'ai reçu aucune sanction. Je devrais être soulagée, mais à vrai dire, le choc est toujours là, le même que celui que j'ai affiché hier lorsque ma mère a secoué la tête de gauche à droite alors que je lui demandais quelle serait ma punition. Je m'y étais mentalement préparé, n'ayant jamais fait de grosse bêtise susceptible de m'en rapporter une. Mais rien.

Je soupire en me frottant les yeux pour me réveiller. Je n'ai pas la force d'attraper mon téléphone pour voir l'état de ma tête. La soirée d'hier a été très éprouvante. Alors que je m'attendais à pleurer pour obtenir leur pardon, j'ai pleuré pour tout autre chose. Des larmes qui auraient du couler et des mots qui auraient du être prononcé depuis bien longtemps. Alors je me contente d'ignorer mes yeux bouffis et mon teint blafard. 
Je tends les bras vers le plafond et regarde mes mains s'agiter dans l'air, mes doigts balayant l'atmosphère. J'étire toutes mes articulations mais peine à sortir du lit. La chaleur de la couette et la fatigue me retiennent de longues minutes sous les draps.

Je finis par me résigner et me lever. J'ai mis un moment ce matin à me rendre compte d'où j'étais. Je ne retrouvais plus la douce odeur de café, la lumière pénétrante qui illuminait la chambre comme en plein jour, ou encore le corps d'Ani allongé à côté de moi. J'ai à la place, redécouvert ma chambre plongée dans une semi obscurité et mon grand lit deux places vide.
Mais contre toute attente, ça ne m'a pas déplu.

Je descends les marches lentement et me traine jusqu'à la cuisine. Je suis étonnée d'y découvrir mes parents, mon père étant en train de faire griller des tartines et ma mère lisant le journal.
Tous deux affichent un large sourire en m'apercevant et me saluent d'une voie mielleuse.

—Vous ne travaillez pas ce matin ? 

D'habitude, nous partions tous les trois à la même heure. J'allais au lycée à pied tandis que ma mère prenait la voiture et déposait mon père à son travail. Or, aucune agitation ne les agite ce matin et mon père est même encore en pyjama.  

—J'ai posé quelques jours en début de semaine et ton père est en télétravail.

Je grimace car je sais que c'est de ma faute.
Mon père mime un petit sourire pour me faire déculpabiliser et m'incite à m'asseoir.

-Qu'as-tu prévu aujourd'hui ?

-Je sais pas trop. Je crois que je dois parler à Isaac et Sam, mais j'en ai pas vraiment le courage.

Je pourrais parier qu'ils sont surpris de ma sincérité, mais ma tête baissée sur le plan de travail ne me permet pas de voir leur réaction. Nos langues se sont suffisamment déliées hier soir pour une quelconque pudeur désormais.
Au fond de moi, j'essaye de repousser le plus loin possible cette conversation. Or, je sais pertinemment qu'il est de mon devoir de leur parler au plus vite, pour espérer rattraper le peu de dignité que j'ai encore.

—Tu n'as qu'à les inviter demain après-midi, me propose ma mère en débarrassant son assiette.

Malgré nos sept mois d'amitié, Sam et Isaac ne sont venus qu'une seule fois chez moi. Cet épisode me fait encore honte. Je crois n'avoir jamais fait quelque chose d'aussi puéril. C'était pathétique. J'étais pathétique.

La perspective de les revoir chez moi me rend encore plus mal. Cette fois ci, aucune photo cachée ou souvenirs refoulés, juste ma plus grande intimité que je leur ai caché tout ce temps. 
Mais si Suzanne y a pénétré, je ne vois pas pourquoi y voir Isaac et Sam me perturberait.

—Oui, c'est une bonne idée, continue mon père, ils pourraient tous les deux rester manger. Il serait grand temps qu'on les rencontre.

Ma mère lui donne un coup de coude en lui faisant les gros yeux, n'appréciant probablement pas qu'il me presse autant.
Il s'en rend vite compte et bredouille quelques excuses.

—Enfin, tu fais comme tu veux, on peut très bien attendre, ce n'est pas urg...

—Non c'est très bien, le coupais je précipitamment, je les inviterai pour demain midi.

Le visage de ma mère s'illumine d'un grand sourire. Je peux déjà deviné les recettes qui défilent devant ses yeux. J'ai envie de lui dire de ne pas en faire trop, mais je me ravise tant ce déjeuner semble lui faire plaisir. A la place, je tente un petit sourire et replonge la tête dans mes tranches de brioche, tartinées chacune des confitures de Meghan.

Mon père s'éclipse quelques minutes plus tard, pour prendre sa douche avant sa visioconférence et je me retrouve seule avec ma mère.
Je sais qu'elle brûle d'envie de me demander ce que j'ai bien pu faire durant ces derniers jours, mais elle s'abstient. Je lui en suis reconnaissante. Les confessions ont déjà été un peu trop poussée hier, et celles qui s'annonce demain le seront tout autant. Alors ce petit moment de répit m'est fortement appréciable.

—Au fait, il faudra que tu renvoies un message à monsieur Thomas. Je lui ai dit que tu avais un empêchement lundi et il m'a dit qu'il attendra que tu le recontactes pour refixer une date.

—Une date ? 

—Oui, c'était censé être ton dernier cours.

Mon dernier cours, déjà. Six longs mois se sont donc réellement écoulés ? Il faut se rendre à l'évidence, l'année se termine. Les derniers cours de musique s'achèvent, les bancs du lycée se désertent et la météo changeante du printemps va laisser place au soleil caniculaire de l'été. Après tout, nous sommes déjà en juin.

—Ok je le ferais.

***

Lorsque je remonte dans ma chambre, j'attrape immédiatement mon téléphone pour envoyer l'édit message. Je me force à ne pas ouvrir la conversation avec Chris et laisse son nouveau sms de côté un instant. Je suis surprise de voir que mon professeur me répond dans la minute qui suit, en me proposant un rendez-vous pour aujourd'hui, en fin d'après-midi. Je lui confirme l'heure, n'ayant rien d'autre à faire de ma journée et m'empresse de basculer sur la discussion de Chris.

Chris le dentifrice
You make it easy to choose

C'est un nouveau screen de paroles. Je reconnait la chanson Intention sans avoir besoin de lire le titre. Ma poitrine se gonfle de douceur. Je mets de côté la niaiserie de cet échange. Si j'avais lu un livre avec une telle attention, j'aurais surement lever les yeux au ciel. Or au lieu de se retourner, mes yeux relisent ces quelques mots encore et encore, faisant naitre en moi l'espoir d'être enfin la protagoniste de mon propre livre, et non le personnage secondaire ou carrément la lectrice. Et ça fait un putain de bien fou. 

Je m'installe sur mon lit, un sourire idiot jusqu'aux oreilles toujours plaqué sur le visage, et je cherche une réponse adéquate. Sa réponse n'est pas forcement cohérente à mon ancien message, mais ce détail me passe au dessus de la tête lorsque j'imagine le calvaire que cela a du être de lire les paroles de chaque chanson de cet artiste qu'il déteste tant. Je parcours à la seule aide de ma mémoire toutes les chansons que je connais par cœur et analyse méticuleusement chaque phrase.

Je me prends sans doute trop la tête pour un simple message, or je continue de chercher pendant près de dix bonnes minutes. Puis la chanson et la phrase parfaite apparaissent soudainement dans mon esprit et je tape précipitamment ces mots sur mon clavier.

Loulou le roudoudou

See, you're lonkin' beyond the surface
Can tell by the questions you're asking
You got me low-key nervous

TwinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant