Je me retrouve face à cette maison que je connais si bien.
Que je connaissais si bien plutôt.
J'y ai passé tant d'après-midis. Je la prenais pour un château tant elle me semblait vaste. Je me souviens de tout, du grand miroir ovale accroché au-dessus de la cheminée, à l'esquisse japonaise du long couloir de l'étage.Et pourtant, je n'arrive pas à me souvenir de la dernière fois où j'y ai mis les pieds. Tout me parait à la fois si familier, mais si inconnu. Je ne reconnais pas les voitures garées dans l'allée et je ne trouve ni balançoire, ni panier de basket dans la cour avant. C'est différent tout en étant similaire. Je suis devenue étrangère à cette maison. Tout comme je suis désormais étrangère à cette ville, à cette vie.
Je m'avance jusqu'à l'entrée. J'ai au préalable vérifié si la boîte aux lettres arborait bien le même nom, bien qu'Ani m'ait confirmé que les Dincken habitaient toujours ici. Il est onze heures du matin et on est un jour de semaine alors j'espère qu'elle sera seule et que je ne risque pas de tomber sur ses parents.
Je me retourne pour vérifier qu'Ani est bel et bien parti. Je lui ai demandé de me laisser seule, bien qu'elle ne fût pas, en premier lieu, emballée par l'idée. Cependant, je sais me montrer persuasive.
Je peux encore partir.
Mais je ne le dois pas. Alors je fais taire cette maudite voix dans ma tête et frappe par trois coups. Je recule d'un pas, l'esprit rempli d'appréhension. Les secondes s'écoulent sans que je n'entende le moindre bruit de derrière la porte. Est-ce qu'elle ne veut pas ouvrir ? Ou est-ce qu'elle n'a pas entendu ? Je retente ma chance en sonnant cette fois-ci. Encore deux longues minutes s'étirent, mais toujours rien. L'univers souhaite-t-il que je fasse demi-tour ? Je recule d'un second pas, sentant la détermination me quitter petit à petit, mais m'arrête net lorsque des bruits de clés résonnent. Quelques secondes plus tard la porte s'ouvre en grand sur Eleonor.La tête qu'elle affiche lorsque ses yeux se posent sur moi est à garder dans les annales. Ses pupilles s'arrondissent de surprise tandis que sa bouche se décroche de sa mâchoire alors qu'elle me détaille du regard de la tête aux pieds. Son moment d'absence me permet à moi aussi de l'observer. Tout comme sa maison, elle n'a pas tellement changé. Elle reste fidèle à elle-même, droite comme un piquet, bien que plus petite que les ados de son âge. Je ne l'ai pas vue depuis six mois, mais ça fera surtout six ans que je n'ai pas mis les pieds ici. Son visage rond, parsemé de taches de rousseur se crispe.
-Qu'est-ce que tu fous ici ?
Toujours aussi chaleureuse.
Je suis de mauvaise fois en pensant ces mots puisque je sais pertinemment que ce n'est qu'avec moi qu'elle se comporte de manière si amère.
Elle remet en place son air impassible, son masque préféré. Je ne lui laisse pas le temps de me foutre à la porte que je lance en la bousculant pour entrer :-Je veux te parler.
Elle n'a pas vraiment le choix et je fais tout pour que ma détermination transparaisse dans ma voix. Nous allons avoir cette discussion maintenant, quel qu'en soit son avis. Je me redonne alors peu à peu contenance et reprends confiance. Elle semble le comprendre et souffle bruyamment d'agacement. Je l'entends cependant refermer la porte dans mon dos. Je l'observe se diriger dans sa salle à manger sans se soucier que je l'accompagne ou non. Elle s'installe sur une des chaises de sa grande table et je prends celle d'en face.
Je scrute un moment l'intérieur, par reflex. Les meubles sont les mêmes qu'auparavant et je constate qu'ils ont gardé l'habitude d'acheter régulièrement un bouquet de roses blanches afin de le poser sur le buffet. Déjà à l'époque, monsieur Dinken accordait cette attention à sa femme. Tout est conforme à mes souvenirs, mais il me semble les murs étaient couleur bleu canard. Ils sont beiges, maintenant.
Je me rends compte que je suis ridicule. Eleonor ne doit même pas se souvenir de mon ancienne adresse.
Je baisse les yeux vers mes mains étonnamment moites et triture la manche de mon sweat.
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Twins
Ficção AdolescenteMarylou n'a jamais vraiment su surmonter la mort de sa sœur jumelle. Cinq ans que Camille est morte, cinq ans que Lou' se sent vide à l'intérieur. Hantée par des souvenirs bien trop limpides, elle peine à remonter la pente. Et ce n'est non pas une...