Chapitre 1

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Je fixe le plafond de ma chambre, affalée sur mon lit, pour la dernière fois après seize ans.
Aujourd'hui est le grand jour, comme ma mère se plait à le dire.
Nous quittons ce trou paumé, appelé couramment "campagne". Il y pleut la quantité de l'océan Atlantique deux saisons par an, le comté abrite, sans nul doute, plus de vaches que d'habitants et le réseau semble fonctionner un jour sur deux. La moitié des habitants sont des retraités et une mamie sur deux est une vraie commère, c'est pourquoi les nouvelles vont généralement vite aux vieilles oreilles appareillées de tout le monde. Avec une moyenne d'âge de 65 ans, le lycée le plus proche se situe à trente bornes de chez moi et les commerces se font rares. Ils sont pour ainsi dire inexistants. 
Je liste ainsi tous les désavantages de cet endroit depuis quelques semaines, en me persuadant ô combien j'ai toujours détester ce village et rêver d'une grande ville.

- Lou' ?

Ma mère m'appelle pour la troisième fois du rez-de-chaussée, coupant court à mes pensées. Je soupire lourdement, consciente que ce constat qui avait pour but de me rassurer ne fait que me troubler davantage.
J'attrape mon sac et balaye une dernière fois des yeux ma chambre vide. Mon cœur se serre en la voyant si épurée, si triste. Je dis au revoir aux poutres qui m'ont valu de nombreuses bosses, aux plantes mortes sur l'appui de fenêtre et au lustre princesse qui pend à mon plafond depuis une dizaine d'années puis, dans une grande inspiration, claque la porte. 
Je me recroqueville sur la banquette arrière de notre voiture et peine à trouver le trou de la ceinture de sécurité, à l'étroit parmi tous les sacs et cartons.

-Tu t'en sors ? 

Le clic de la ceinture retentie et je souris victorieusement à mon père à l'avant, amusé par la situation. Cela fait maintenant plus d'un an qu'il a perdu son travail. Les offres d'emploi se font rares par ici et malgré toute sa bonne volonté, il n'a depuis décroché quoi que ce soit. Lorsque ma mère s'est vue proposée un post plus avantageux dans une grande ville côtière et à plus de cinq heures de route d'ici, elle y a vu une solution parfaite pour tout recommencer ailleurs. Sur de meilleures bases, avait-elle dit.

La portière côté passager s'ouvre et ma mère prend place dans notre modeste peugeot, déjà essoufflée.

-C'est bon, on a tout ? 

-Tu as déjà fait trois fois le tour de la maison, j'estime que oui, s'impatiente mon père en tapotant le volant des doigts.

Elle lève les yeux au ciel, ignore son ton désapprobateur et se retourne vers moi.

-Prête?

J'acquiesce d'un petit hochement de tête et mon père démarre.
Le ciel est encombré de nuages et de petites gouttelettes perlent déjà sur ma vitre. Nous traversons une dernière fois les rues cabossées du village. Je m'étonne en savourant le trajet, capturant le paysage de manière à le graver dans mon esprit. Qui l'aurait cru ? Nous dépassons l'église et je me retourne vers la vitre arrière de la voiture. Mes yeux restent rivés sur le clocher jusqu'à ce que la pointe disparaisse totalement de mon champ de vision. Je soupire et me retourne péniblement, le cœur plus lourd que je ne l'aurai cru. Je ne suis même pas surprise de constater que mes parents sont déjà en train de se disputer, à cause du GPS ou d'une connerie de ce genre. Je n'y porte pas attention, déniche mes écouteurs au fond de ma poche et lance une playlist.

Un sourd bruit de klaxon et quelques injures de mon père me font sortir de mon sommeil. J'ouvre peu à peu les yeux et suis aveuglée par la lumière du soleil. Merde, combien de temps ai-je dormi? Je relève la tête vers la vitre et découvre un paysage digne d'une véritable carte postale. J'en ai le souffle coupé. Nous sommes coincés dans les bouchons et longeons une côte bordée de palmiers. La plage et les trottoirs sont noirs de monde malgré les températures de ce mois de janvier. Les gens d'ici sont fous ?  

Après une bonne demi-heure à éviter de renverser des touristes et à tourner en rond, nous arrivons enfin à nous rendre au bon lotissement. 

Naturellement, la maison n'est pas une grande villa au bord de la digue et au prix exorbitant, mais elle est plutôt mignonne parmi ses semblables. Ma mère se tourne vers moi et me tend les clefs en souriant. Je tente de le lui renvoyer malgré tout et saisie le trousseau afin d'entrer dans mon nouveau chez moi. Je pénètre alors dans un petit couloir renfermant quelques portes, puis fonce droit devant vers la pièce à vivre. Cette dernière est plus petite que l'ancienne mais bien plus lumineuse avec sa grande baie vitrée murale. Une cuisine américaine flambant neuve est déjà posée tandis que nos autres meubles sont placés en vrac dans la pièce. Je grimpe quatre à quatre les marches de l'escalier, puis découvre successivement deux chambres et une salle de bain. Je reconnais aisément ma tanière par son blanc immaculé encore frais qui me change du vert d'eau immonde de mon ancienne chambre.

-Chérie, viens nous aider à décharger la voiture s'il te plait.

Une fois la voiture vide, je me lance dans une tâche périlleuse : monter les cartons. Les écouteurs toujours vissés dans les oreilles, je me laisse distraire au son d'Harry Styles . Grave erreur. Je trébuche en haut de l'escalier et me rétame sur le parquet froid.

-Tout va bien ?

Je devine au ton de sa voix que ma mère accourt déjà vers moi.

-Rien de casser, la rassurais-je en grognant.

Je me relève difficilement avec la sensation qu'une énorme bosse est prête à jaillir de mon crâne. Je regarde de travers le visage d'Harry affiché sur mon téléphone et stoppe la musique.

-Demain tu auras le temps de ranger tes affaires et de familiariser avec la ville avant ta rentrée, me lance finalement mon père alors que je débarrasse mon assiette une fois le plus gros des cartons déballés.

Ma rentrée. Débarquée à la mi-janvier dans un tout nouvel établissement ne m'enchante pas particulièrement, alors je préfère refouler ce mot au fin fond de ma tête.

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