Chapitre 67

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Je leur ouvre la porte de ma chambre et immédiatement, tous les petits détails que j'avais pris soin de leur cacher lors de leur première visite me sautent aux yeux. Toutes les photos semblent me regarder sévèrement. Même le doudou de Cam' me parait suspect, alors que d'apparence personne ne pourrait soupçonner qu'il lui appartenait.

Je m'installe sur mon lit, non sans un pincement au cœur lorsque les draps se plissent et s'affaissent sous mon poids. J'ai passé un bon cinq minutes à être satisfaite de l'allure de ma literie. J'indique à mes invités de s'asseoir là où bon leur semble et attrape un de mes coussins pour le serrer contre ma poitrine. Isaac s'installe sur le tabouret de mon piano et Sam prend place sur ma chaise de bureau.

Un lourd silence s'abat sur nous et pour être franche, je n'ai jamais été aussi gênée en leur présence. J'ai l'impression d'être retournée au collège, lorsque j'essayais tant bien que mal de sociabiliser mais qu'aucun mot n'arrivait à sortir de ma bouche. Pire, j'ai l'impression que les derniers évènements ont installé une certaine distance entre nous trois.

C'est bien pour ça que tu les as invités, pour recoller les morceaux. Sam tapote mon bureau de ses ongles en balayant ma chambre du regard tandis qu'Isaac semble incroyablement intéressé par mon tapis.

J'entends des petits "ploc, ploc" résonner et je me tourne frénétiquement vers ma fenêtre grande ouverte. La pluie commence à tomber et on annonce même de l'orage pour cette après-midi. Je quitte mon lit pour fermer mon carreau et éviter l'inondation.

—C'est du marqueur ?

Je jette un coup d'œil à Sam qui a la tête tournée vers mon miroir.

—Oui

Sur un coup de tête de la veille au soir, j'ai attrapé mon indélébile noir et ai dessiné sur ma glace. Je n'ai pas eu le courage de customiser mes murs, comme l'a fait Ani, alors je me suis tourné vers quelque chose de plus petit et de moins voyant. J'avoue avoir été très satisfaite du résultat. Bien que je ne sois pas une grande dessinatrice, mes fleurs et étoiles n'ont pas l'aire d'avoir été dessiné par un enfant de l'école primaire et mes formes sont à peu près correctes. Je me souviens m'être éloignée du miroir pour contempler mon œuvre et m'être réjouie. J'aime savoir que cette trace restera pour toujours, qu'elle ne s'effacera pas.

—J'aime bien.

Elle m'adresse un petit sourire qui se veut rassurant. Elle me connais sans doute assez pour voir que je suis stressée au possible. Je retourne sur mon matelas et me sens maintenant plus sereine pour débuter la conversation.

—Bon tout d'abord, merci d'être venu, balbutiais je pour commencer.

Ils acquiescent de la tête et m'incitent à continuer, mais les mots peinent à sortir.

—Bordel, me murmurais je à moi-même.

—Alors euh, tu étais partie où ?

Je relève les yeux vers Isaac et Sam en fait de même. Il a une main dans son coup et il se gratte la nuque. 

—Je suis retournée dans mon ancien village, à quelques heures d'ici.

—Et euh, c'était bien ?

—Pitié Isaac, souffle Sam exaspérée

Il fronce les sourcils et se tourne vers elle

—Quoi, qu'est-ce que j'ai dit encore ?

Cet idiot arrive sans s'en rendre compte à m'arracher un sourire, ce qui fait évaporer le reste de mon stress. Je range les mots dans l'ordre dans mon esprit pour former des phrases syntaxiquement correctes tandis que Sam assassine Isaac du regard.
Je me racle la gorge pour attirer leur attention et tous deux pivotent leur tête vers moi comme un seul homme.

—Bon, je sais qu'il s'est passé beaucoup de choses depuis quelques semaines et que j'y suis pour beaucoup. Et je voulais qu'on prenne le temps de parler pour s'expliquer et repartir sur de bonnes bases, en espérant qu'elle ne soit pas elles aussi détruites.

Isaac m'écoute attentivement sans broncher mais je constate que durant mon récit, le visage de Sam a perdu deux teintes de couleur. Sa réaction me terrifie. 

—Alors si vous avez quelque chose à me dire, ou la moindre question à me poser je vous promets que j'y répondrais honnêtement, cette fois-ci.

—Je suis tellement désolée...

La voix brisée de Sam s'éteint et je la vois fondre en larmes.

Bordel.

Qu'est ce qui se passe ?

Elle se prend la tête dans les mains et sanglote bruyamment. C'est le monde à l'envers. J'étais censée m'excuser et la supplier de me pardonner mais c'est elle qui est en larmes devant moi.
Je ne sais absolument pas comment réagir. J'ai déjà vu Sam pleurer, mais pas comme ça. Pas avec un visage si décomposé, pas avec des larmes si ruisselantes.

Je regarde Isaac, paniquée, mais constate que lui aussi ne s'attendait absolument pas à une réaction pareille. Il me regarde avec des yeux ronds et hausse les épaules quand je le toise du regard.
Je ne peux pas rester là sans rien faire, à la regarder pleurer, alors je m'approche tout doucement d'elle et m'accroupis au pied de sa chaise.

—Sam, murmurais je d'une voix douce en lui prenant les mains.

Elle relève la tête vers moi et me dévisage avec ses yeux de panda. Je sais qu'elle a dû passer au moins dix minutes à faire son trait d'eye-liner et je sais qu'elle s'en mordra les doigts lorsqu'elle découvrira que son maquillage et fichu. Je le sais parce que c'est Sam et parce que c'est ma meilleure amie.

Je la tire doucement vers moi pour l'attirer dans mes bas. Elle ne résiste pas longtemps et s'effondre sur moi, nous faisant toutes les deux tomber au sol. Elle se blottit contre moi et je la serre dans mes bras. Aucune des deux n'est particulièrement tactile, or trois longues semaines sans aucune contact physique, cela commençait à faire long. Je plonge ma tête dans ses cheveux roux et ferme les paupières, humant son odeur. Elle m'a terriblement manqué.

Isaac marmonne quelque chose d'inaudible dans sa barbe puis je distingue le grincement de mon vieux tabouret, signe qu'il s'est levé. Je ne suis pas étonnée de le sentir s'asseoir près de moi quelques secondes plus tard. Je relève la tête tandis qu'il passe sa main dans le dos de Sam toujours allongée sur moi, le visage baigné de larmes. Sa respiration est néanmoins plus calme et j'arrive maintenant à comprendre ce qu'elle chuchote.

—Je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée.

Elle répète ses trois mots, encore et encore, comme une incantation en s'agrippant à moi. La voir dans cet état me touche tellement que j'en ai les larmes aux yeux. Ma tête tombe sur l'épaule d'Isaac et je prie intérieurement pour qu'il ne me jette pas. Je me rends compte que j'ai faux sur toute la ligne lorsqu'il passe son bras libre autour de ma taille et me serre contre lui.

J'étais persuadée qu'ils m'en voudraient, qu'ils refuseraient de me voir à nouveau. Je pensais qu'au mieux, ils allaient me faire mijoter pendant de longs mois. Je pensais une nouvelle fois avoir détruit ce qui m'arrivait de bon par simple peur. Mais je ne suis même plus étonnée de découvrir pour la énième fois que mon intuition était pourrie. J'ai un don pour déformer complètement la situation et comprendre les choses à l'envers. C'est fou.

Je ravale mes larmes et esquisse un sourire face à l'ironie de la situation.

—Vous n'y êtes pour rien, leur soufflais je. 

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