Chapitre 21

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Camille.

C'est elle la raison.

Ça a toujours été elle. Pour tout.

Même si j'ai promis à Sam de me confier davantage, jamais au grand jamais je ne leur ai parlé de Camille. 
Ils n'ont pas besoin de savoir que je me mords les doigts à chaque fois que je passe devant les rares photos que ma mère a tenu à laisser affichées à la maison. Ils n'ont pas besoin de savoir que, toutes les nuits, je serre le plus fort possible le doudou de Camille contre mon cœur. Que je continue à le renifler, cherchant désespérément son odeur disparue depuis plusieurs années, et que j'en suis bien plus attachée qu'à mon propre doudou. Ils n'ont pas besoin de savoir que le vase à la façade joviale posé sur le buffet, que Camille avait confectionné en maternelle pour la fête des mères, renferme ses cendres depuis cinq ans maintenant. Ils n'ont pas besoin de savoir qu'elle est morte, et que son absence me consume encore, tous les jours. 

Non. Ils ne doivent rien savoir. 

Je suis incapable de leur dire. C'est au dessus de mes forces.

Cinq minutes de marche plus tard et le ciel se met à déverser de grosses gouttes sur la ville. Une grosse averse est annoncée pour l'après-midi, et incroyable mais vraie, la météo semble avoir raison. Dix bonnes minutes à pied me séparent du seuil de ma porte, mais quelques secondes suffisent à cette pluie torrentielle pour me tremper de la tête aux pieds. Je devrais me mettre à courir, pour espérer sauver mes pauvres cahiers de la noyade ou mes chaussures blanches de l'inondation, mais je ne le fais pas, et continue à marcher, tête baissée.

Je pense, je réfléchis, j'avise, je remue ma matière grise, afin de trouver une solution à mon problème. Deux possibilités s'offrent à moi, le dire ou me taire. Cet ultimatum pourrait paraitre difficile mais il ne l'est même pas; la vérité est bien trop dure à affronter qu'il n'est même pas envisageable de la raconter. C'est comme ça depuis toujours et pas autrement. Je ne peux pas. Même si j'en avais envie, je crois que les mots n'arriveraient même pas à franchir la barrière de ma bouche et resteraient coincés dans le fond de ma gorge, me privant de tout oxygène. Non, ils ne doivent rien savoir.

C'est moche, tellement moche, mais je ne peux rien y faire.

Maintenant que ma décision est prise, reste à savoir comment l'appliquer.
Je ne peux pas résilier mon invitation, je paraîtrai encore plus impolie que je ne le suis déjà.
Mais un secret est dur à garder. Cette rude mission va bien au-delà de ne pas en parler, il faut masquer la réalité, la maquiller en une autre chose. Ani ne cessait de me répéter que le maquillage sert à rendre plus jolie quelque chose qui l'est déjà, mais comment faire quand l'apparence d'origine est hideuse et répugnante ?
Il faut la couvrir encore plus, empiler les couches de mensonges.

Comment cacher l'existence de quelqu'un ? Jamais je ne pensais me poser ce genre de question un jour. À bien y regarder, il n'y a pas que les assassins qui se demandent ce genre d'interrogation. NCIS m'a appris que pour réaliser cette tâche, il faut faire disparaitre tout ce qui se rapporte de près ou de loin à la victime.

C'est presque flippant de se dire que l'on peut être effacé. Combien de noms tombent dans l'oubli chaque jour ? De combien de personnes on se souvient réellement ?
Là n'est pas la question, Camille existera toujours à mes yeux, je ne veux juste pas qu'elle existe aussi aux yeux des autres.

Suis-je pathétique au point d'enlever les photos du frigo pour une après-midi, puis de les remettre comme si de rien était ? Oui je crois. Quand on tombe bas, on n'a plus vraiment la notion de profondeur.
La vérité n'est pas toujours bonne à dire. Avouer sert juste à rendre meilleur notre petite conscience de merde, mais en rien elle ne change quelque chose. Les mots n'ont pas d'impact sur les faits.

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