Chapitre 64

7 0 0
                                    

"Vous êtes arrivés en gare. Assurez-vous de ne rien oublié dans le train"

Je me précipite vers la sortie mon maigre sac en plastique à la main, impatiente de pouvoir enfin quitter ce maudit wagon. Atteindre les portes est une libération. Il fait nettement plus beau maintenant que lors de mon trajet. Le soleil du soir projette une lumière orangée sur la ville. Ses rayons caressent mon visage, réchauffent mes pommettes et je ferme les yeux pour en savourer la douceur. 

L'ambiance ici est tellement différente de celle dans laquelle j'ai passé ces derniers jours. Si bien qu'il me faut quelques minutes pour effectuer la transition.
Mes oreilles, bercées depuis plusieurs jours par le chant des oiseaux et le beuglement des vaches, bourdonnent déjà à cause du trafic de la ville. Ce sentiment de stress, de précipitation, j'arrive à le ressentir simplement en regardant les gens s'activer autour de moi. Il y a tant d'agitation. Tant de vie. Tout ceci est tellement différent de ma campagne, avec ses cinquante habitants par kilomètre carré. Je retrouve également cette singulière odeur. J'ai laissé les doux arômes des champs pour les fortes émissions de CO2 du centre-ville. D'une certaine manière, l'air est plus lourd ici, il est moins pur et délicat.

Mais aussi bizarre que cela puisse paraître, un sourire nait sur mon visage. Je suis contente de retrouver tout ça, car désormais, la campagne n'est plus mon chez moi.  Y retourner m'a permis d'y trouver la paix. Il n'y a plus de non-dit, de rendez-vous repoussés ou de phrases inachevées. Il ne reste plus qu'Ani et une panoplie de souvenirs. Désormais, ma maison est ici, à la ville. Et je suis contente de rentrer chez moi.

Lorsque je sors de la gare, mon téléphone se met à vibrer dans la poche arrière de mon jean, m'annonçant l'arrivée d'un nouveau message. Je le sors avec une certaine appréhension, mais mes muscles se détendent automatiquement lorsque le nom de Chris s'affiche sur mon écran de verrouillage.

C'est une photo. Un simple screen de la chanson qu'il est en train d'écouter. Pourtant, mon cœur déborde de papillons lorsque j'y lis le titre Love yourself de Justin Bieber. 
Je le connais assez pour savoir qu'il m'envoie ça pour rire. Pour que je me foute de sa gueule. Pourtant, je ne le prends pas de cette manière.

Même si en disant ceci je passe pour une folle à interner, j'ai l'impression que Justin Bieber est une sorte de symbole pour nous deux.
Il a toujours trouvé mon amour pour ce chanteur complètement irrationnel. Tout le monde l'a toujours trouvé ainsi.  Personne n'a jamais compris ce qu'il représentait pour moi. Moi même je ne le comprends pas vraiment. Pourtant, la Marylou de 11 ans qui s'enfermait dans sa chambre alors que son monde entier s'écroulait pour écouter ses albums en boucle le savait. 

Or avec ce message, une part de moi espère qu'il l'a compris.

Chris ne l'aime pas tellement. Ce qu'il adore en revanche, c'est me mettre en rogne en le critiquant lui et moi par la même occasion. Et il y arrivait à chaque foi.

Malgré mon état de sobriété discutable ce jour-là, je me souviendrai toujours de cette soirée où j'ai osé me dandiner, debout sur l'ilot centrale de la cuisine de Suzanne sur Baby. Je crois ne m'être jamais sentie aussi vivante qu'à ce moment précis. Tout comme je crois ne m'être jamais sentie aussi vulnérable paradoxalement. Or, alors que je flanchais à la fin de la chanson, il m'a rattrapé et j'ai pu me reposer sur son épaule. Je n'avais pas réalisé avant ce moment que c'était ce que j'avais toujours voulu depuis si longtemps. Qu'on me supporte quand j'ai envie de m'effondrer.

Je me creuse la tête de longues minutes pour trouver une réponse adéquate. Lorsque je retourne sur Deezer, la solution me saute aux yeux en voyant la chanson en cours. Je tape sur l'onglet parole, défile les mots jusqu'à trouver ce que je veux lui adresser et que je n'ai pas réussi à lui dire au téléphone puis screen l'écran. J'envoie alors la capture extraite de I don't care et ferme mon téléphone avant de regretter.

Loulou le roudoudou
And you're making me feel like maybe I am somebody

***

Nous y sommes.

Je me tiens les jambes vacillantes devant cette maison que j'ai découvert il y a bientôt sept mois avec son allée de cailloux blancs et sa boîte aux lettres rouge géranium. Ma maison.
J'aperçois de la lumière derrière les rideaux de la fenêtre de la cuisine, signe qu'ils sont en train de préparer le dîner.

J'inspire puis expire le plus lentement possible, cherchant à calmer les battements de mon cœur ainsi qu'à me vider la tête. Cette fois-ci, pas de discours tout préparé ou de tirade organisée, juste mes pensées les plus sincères. Aucun retour en arrière envisageable.
J'avance d'un pas déterminé et passe le portail. Quelques secondes plus tard, j'atteins la porte d'entrée en pvc.

Je n'ai pas la moindre idée de comment vont-ils réagir. Bien, j'espère. Je sais pertinemment que je n'échapperai pas à un flot de blâmes et de reproches. Cependant je les mérite, alors je me suis préparée à fermer ma gueule.

On ne peut pas vraiment parler de fugue, ils savaient où j'étais. Même si elle a essayé de me le cacher, j'ai bien vu qu'Ani leur avait envoyé quelques messages. Je lui en suis d'ailleurs très reconnaissante à présent, si elle ne l'avait pas fait mes parents auraient sans aucun doute prévenu la police et lancé un avis de recherche. Mais s'ils savaient où j'étais, pourquoi ne sont-ils pas venus me chercher ?  

J'hésite entre sonner et frapper. Mes clefs étant restées dans ma chambre, je ne peux pas entrer sans leur signaler ma présence. Alors je toque doucement, bien trop doucement pour qu'ils l'entendent. Je saisis donc mon courage à deux mains et actionne la sonnette avant de reculer d'un pas, stressée au possible.

Je distingue des bruits de pas derrière la porte et mon sang se glace, malgré les bons 25C° de l'extérieur. J'entends la clé tourner dans la serrure et je m'oblige à lever la tête et regarder droit devant moi tout en plaquant ma langue contre mon palais pour ne pas fondre en larmes.

La silhouette de ma mère se dessine dans l'encadrement de la porte et je vois son visage pâle se décomposer à ma vue.

-Ma fille...

Ni une, ni deux, elle se précipite vers moi et alors que je m'attends à recevoir la gifle de ma vie, elle me prend dans ses bras. Il me fait quelques minutes pour l'assimiler et entourer à ma tour mes bras autour de son corps frêle. Elle me sert si fort que j'ai du mal à inspirer, mais je ne dis rien. Sa respiration est haletante et j'arrive à discerner des bruits de sanglots. Mon hypothèse se confirme lorsque je sens ses larmes couler sur mon cou.

-Qu'est-ce qu'il se passe bor...

Je relève la tête vers mon père qui s'arrête net en nous voyant ainsi. J'aperçois instantanément les cernes qui lui creusent les yeux et je me déteste à cet instant précis pour ça. J'ai à peine le temps de cligner des yeux qu'il se précipite vers nous pour nous encercler toutes les deux de ses bras.

Et nous restons comme ça, un long moment.

J'effectue de petits mouvements circulaires du bout de mes doigts sur le dos de ma mère qui continue de larmoyer, blottie contre moi. Elle semble s'agripper à mon corps de toutes ses forces, tandis que mon père me caresse doucement les cheveux. Je respire enfin, soulagée.

Quel portrait. Tous les trois, sur le seuil de notre maison, à sangloter dans les bras l'un de l'autre à l'aube. Ça n'était pas arrivé depuis très longtemps, trop longtemps. Cette scène n'a rien de pitoyable. Elle me fait un bien fou. Elle me prouve que la mer finit toujours par se calmer après une tempête, tout comme elle se calmera un jour même pour un ouragan datant de 6 ans.

-Ne part plus jamais, arrive à étouffer ma mère entre deux reniflements.

Promis. Moi, je ne partirais pas.

TwinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant