Chapitre 34

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A 19h30 pétante, je m'autorise cinq minutes de répit et m'affale sur le canapé, déjà épuisée alors que la soirée n'a même pas encore commencé. Ma mère ne s'octroie pas ce plaisir et continue de s'activer malgré tous les efforts que nous avons déjà investis aujourd'hui pour rendre la maison la plus propre possible et préparer le meilleur des repas. Nos invités ne devraient pas tarder, mais je n'ai qu'une envie, qu'ils repartent. Ma mère a formellement refusé le jean que j'avais prévu de mettre et a insisté en faveur de la petite jupe noire que nous avons acheté ensemble il y a quelques semaines pour l'arrivée du printemps. Ce ne serait pas exagérer de dire que mon père était à deux doigts de devoir se mettre en costard. Elle stresse énormément. Et je dois avouer que je le suis aussi. La vision d'un repas entier assise à la même table que Suzanne ne m'enchante guère et me bourre d'appréhension, donnant naissance à une habituelle boule de stress au creux de mon ventre.

Nous avons sorti les grands moyens au niveau de la nourriture. Les restes seront faramineux, mais ce détail n'inquiète pas le moins du monde ma mère. Mon téléphone vibre dans ma main et la notification m'envoie vers le groupe que je partage avec Isaac et Sam. Tous deux me souhaitent bonne chance pour le dîner. Je leur en ai bien sûr touché quelques mots mercredi dernier, lors de notre soirée canapé. Ils m'ont ri au nez. Amis en carton.

La sonnette retentit bruyamment dans la maisonnée, alors que mon père descend les escaliers, bien coiffé, parfumé d'une eau de toilette qui embaume immédiatement toute la pièce, se mêlant à la douce odeur qui s'échappe du four. Ma mère, dans tous ses états, retire son tablier illico presto et le balance sur le plan de travail avant de se diriger vers la porte. Je me lève et le range à sa place.

-Entrez, entrez, je vous en prie !

La famille Andrew au grand complet s'avance dans mon salon. Le fait de les voir pénétrer dans ma vie, sans mon consentement, me donne un goût amer sur le palet. Leurs vêtements repassés à la perfection, leur coiffure tirée à quatre épingles, ainsi que leurs postures droites et nobles ont le don de m'agacer. Je les salue poliment en leur sortant mon plus beau faux sourire. Mes yeux croisent ceux de Suzanne, et elle m'adresse un regard des plus sombres avant de marmonner quelque chose d'inaudible entre ses dents.
La nuit promet d'être longue.

***

Les Andrew ont pénétré dans ma maison il y a à peine une demi-heure, et j'ai déjà envie de leur botter le cul et de les foutre à la porte un à un. Ce qui m'agace, c'est la tête qu'a fait le père en regardant notre bouteille de champagne acheté au supermarché le plus proche, la tête qu'a affiché la mère en découvrant que notre salle à manger n'était pas dans une pièce à part, et le comportement des deux sœurs qui mâchent bruyamment leur chewing-gum en détaillant la maison d'air air ingrat, ne montrant aucun respect envers ma famille. Même l'enfer ne peut pas être pire.

Les adultes abordent le sujet par excellence lors des repas, le travail. Je n'ai jamais compris le principe d'inviter ses collègues à manger, pour justement sortir du cadre professionnel et se voir en dehors des heures de boulot, pour au final parler travail. A croire que la vie ne se résume qu'à ça. Que rien d'autres ne gravitent autour.
Suzanne et Suzanne junior ont pour leur part le nez plongé sur leur téléphone, me dispensant, à mon plus grand bonheur, de la pénible tâche dont m'a chargé ma mère avant le repas : tenter de faire la conversation. Quant à moi, et bien, je suis là, c'est le principal non ?
Mes parents sont tendus au possible pendant toute la durée de l'apéro. Ils souhaitent faire bonne impression, décrédibilisant l'idée du simple dîné entre amis.

-Et si vous montiez dans ta chambre, Lou' ? propose ma mère d'une voix fluette qui se veut douce et innocente.

Non.

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