Chapitre 47

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Mon réveil sonne beaucoup trop tôt pour un samedi matin. Il est 7h30 et dans deux petites heures, j'ai mon audition. A peine suis-je levée qu'une boule de stress vient se former au creux de mon ventre. Je donnerai tout pour rester au lit toute la journée.
Je descends à la cuisine en titubant bien que je sois incapable d'avaler quoi que ce soit. J'ai la nette impression que je le recracherai dans la minute qui s'en suit. Mes parents sont déjà levés, tout sourire. Tous les deux ont pris leur matinée pour pouvoir m'écouter. Ils pensent bien faire, mais ça me stresse deux fois plus.

J'ai pris soin de me lever en avance pour pouvoir prendre une bonne douche ce matin. Cette dernière a pour but de me relaxer, même si très franchement, je doute qu'une chose dans ce bas monde soit en capacité d'accomplir cette tâche.
Je lance ma meilleure playlist "motivation" sur Deezer, laissant mon stress s'évacuer par ma voix, en chantant de toutes mes forces. Lorsque je sors, sur un son d'Eminem, la fenêtre et le grand miroir sont embués au possible. 

Règle n°1 des examens : avoir un accoutrement correct et adapté. J'enfile donc ma tenue, préparée minutieusement à l'avance par mes soins. Elle se compose uniquement d'une petite robe blanche très légère dont les bras et les épaules sont entièrement nus. Souvent, avec l'accumulation du stress ainsi que les projecteurs des auditoriums qui émanent plus de chaleur que le réchauffement climatique, une tenue légère et aérée est très fortement recommandée si tu ne veux pas fondre de transpirations.

Règle n°2 : ne pas porter d'objets futiles ou gênant à l'exécution du morceau. Oui, cela parait évident, mais je peux vous assurer que le jour même, les candidats ont d'autres choses à penser que d'enlever leur bracelet de camping. Et lorsque ces derniers se retrouvent sur scène, ils peuvent difficilement s'en débarrasser. Je me dispense donc de mes quelques bracelets, ne portant qu'au final mon collier habituel : une croix offerte par ma grand-mère maternelle que je prends toujours bien soin de dissimuler sous mes vêtements. Pour être honnête, je ne m'intéresse pas tellement à la religion. J'ai fait du catéchisme uniquement car mes parents m'y ont inscrite mais je persiste à croire qu'en la portant, rien ne peut m'arriver. C'est une sorte de porte bonheur j'imagine.
Je m'attache également les cheveux en chignon. Quoi de pire que de les avoir dans les yeux à ce moment-là ? J'ai un temps d'arrêt lorsque mes mains finissent de rassembler ma touffe sur le haut de mon crâne. Je n'avais pas remarqué à quel point ils ont poussé. Étant lors de mon arrivée sous les épaules, ils m'arrivent désormais au milieu du dos. Je n'ai pas vu le temps passer.

Règle n°3 : ne pas oublier ses partitions. Aussi bizarre que cela puisse paraître, chaque musicien prend soin de les emporter même si dans un concours d'une telle envergure, on connait les morceaux sur le bout des doigts. Pourtant, on les prend à chaque fois, tantôt pour réviser dans le couloir en espérant faire redescendre la panique, tantôt pour juste se rassurer.

Alors que je range mon précieux bloc dans mon sac, ma mère m'appelle du salon. On démarre dans cinq minutes. J'attrape mon téléphone et malgré moi, je vérifie mes messages. J'espérais au fond de moi que Sam ou Isaac me souhaite bonne chance. Je ne m'attendais pas à ce qu'ils se déplacent, mais une partie de moi inavouée souhaitait un infime geste de leur part. C'est stupide. Le pincement que j'ai au cœur lorsque je ne vois aucune notification me le confirme. 

Je grimpe dans la voiture et mon père démarre. La salle où se déroule l'audition se trouve en plein centre-ville. Nous mettons donc, par cette heure matinale, une vingtaine de minutes à l'atteindre. Maudit bouchon.
Comme il est préférable d'arriver bien à l'avance, il est seulement 8h40 lorsque je passe les portes de l'auditorium.

J'en reste sans voix.

Il est immense.

Je n'y arriverai jamais.

Les allées de la salle grouillent de monde. Des participants embrassent une dernière fois leur famille avant de s'éclipser seul, en coulisses. J'ai l'impression d'être minuscule. Je crois apercevoir au loin les juristes. Bon dieu, même ce mec de soixante piges aux airs de papi gâteau me fout la frousse.
Le nœud dans mon ventre s'intensifie et je suis prise de nausée.

-Nerveuse ? me souffle mon père.

-Et comment.

Ma mère me tapote l'épaule et je vois qu'elle pointe du doigt mon professeur. Signe que je dois aller le rejoindre.
J'ai maintenant l'impression d'être une gamine de quatre ans capricieuse, incapable de quitter ses parents alors que la crèche l'attend. Bordel, comment j'arrivais à faire ça avant ? Supporter la pression et oser monter sur scène ? Je n'avais que dix ans à l'époque et étais pourtant bien plus courageuse qu'aujourd'hui.

Mes parents m'embrassent et j'arrive difficilement à les relâcher. Avant que je m'en aille vers ce qui est, incontestablement, une personnification de l'enfer, ma mère me glisse quelques mots au creux de l'oreille.

-Tu n'es pas seule. Elle est là, avec toi.

***

-Aller ça va bien se passer, bonne courage Marylou !

Sur ce Monsieur Thomas, s'éloigne, contraint d'écouter l'audition depuis la salle, dans le public. J'aurais préféré qu'il reste avec moi jusqu'au bout.

Le destin a voulu que ce soit une audition de violon et de piano.
Quelle coïncidence !
Pas de place pour l'ironie, je suis bien trop paniquée pour rigoler. Par chance, les pianistes sont écoutés en premier. Je n'aurai donc pas à attendre plusieurs heures et à me boucher les oreilles lors des passages des violonistes. Bien que son son, lorsqu'il est bien joué, est très angélique et mélodieux, j'ai encore beaucoup de mal à en écouter. Je la vois à chaque fois.

Je me cale dans l'un des nombreux couloirs des coulisses et glisse contre un mur. Au lieu de faire comme tout le monde, c'est-à-dire relire des centaines de fois ma partition et rejouer la moindre note en tapant l'air de mes doigts, je commence à scruter les gens. C'est un concours d'adolescent et jeunes adultes. Il va donc y avoir deux classements, un global et un autre selon ton âge. Je fais partie de la catégorie -18.
Sur les 17 candidats de ma catégorie, je passe en seizième position. Autant dire, l'un des pires passages. On pourrait croire que commencer un spectacle est la chose la plus compliquée, mais je vous assure que le finir est bien pire. En plus de ta propre pression, tu dois gérer le fait de regarder tous les participants jouer des morceaux plus complexes les uns que les autres. Alors, quand tu arrives sur scène avec un morceau tout pourri par rapport à tout ce que tu as entendu avant, je peux te dire que tu te sens con.

On se croirait dans un bal de promo typique des lycées américains. Les mecs sont tous en costard, cravate, mocassins, coiffé au gel tandis les filles sont en robes très habillées et maquillées à la perfection. Tout le monde souhaite faire bonne impression.

Les premières notes retentissent, signe que l'audition commence.
Vivaldi. L'été. De quoi me donner la gerbe.

Un mec blond fait les cent pas, une fille brune tapote des doigts le sol, un mec roux réajuste sa cravate tandis que la fille à côté de lui vérifie son gloss.

Mes yeux se perdent dans le vide, mon cerveau se met sur off. Plus rien autour ne m'intéresse et je m'éteins le temps de quelques instants, si bien que le sixième candidat entame son morceau lorsque je reprends contenance. Liszt. Un sospiro.

J'ai besoin de sortir.

Je m'éclipse par la porte de secours et me retrouve dans un petit patio. Je n'ai jamais autant apprécié l'air frais sur mes bras nus. Je ne suis pas encore passée mais je sue déjà à grosses gouttes. Je ne sais pas combien de temps je reste là, sur ce balcon végétal qui surplombe la ville. Je regarde le ciel. Dommage qu'il fasse jour, j'aurais aimé voir les étoiles. Les bruits de la salle sont camouflés par les klaxons et autres échos urbains. Mon cœur se calme doucement et je fais les exercices de respiration que j'ai appris étant petite, pour vaincre le stress.

Inspire.
Bloque trois secondes.
Expire pendant six.

Inspire.
Bloque trois secondes.
Expire pendant six.

Je me revois à l'âge de huit ans, me rongeant les ongles avant ma première audition. Bon dieu comme tout ceci me semble si loin.

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