Chapitre 62

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Lorsque Ani a totalement disparu de mon champ de vision, je me résigne à regagner ma place. J'ai comme la sensation qu'en la laissant sur le quai, je laisse cette partie de ma vie derrière moi, définitivement. Une fois arrivée à mon siège, je m'écroule dessus en soupirant. Je suis installée dans un box à quatre, comme à l'aller, mais j'ai le malheur de constater que je ne suis plus aussi seule dans le wagon, bien au contraire. En face de moi se trouve un couple qui s'est étalé de long en large sur toute la table et semble en train de travailler durement. Tous les deux sont tirés à quatre épingles. Visiblement, je souffle un peu trop fort, puisque l'homme lève les yeux vers moi et me lance un regard désapprobateur. S'il voulais du calme, il ne fallait pas travailler dans le train.

Je m'assoie convenablement, mon sac sur mes genoux, et commence à observer les gens du train, n'ayant rien d'autre de mieux à faire. Un couple de personnes âgées est installé dans le box à côté de nous. Je les trouve mignons. Une petite mamie et petit papi aux cheveux blancs et à la bouille tellement ridée et bouffie que ça en devient adorable qui se tiennent la main les yeux fermés. Cependant, cette vision idyllique se ternie rapidement lorsque tous deux se mettent à ronfler. Si cela commence par un petit ronflement à peine audible,  leur chant se transforme rapidement un fort grognement qui a le don de faire sortir n'importe qui d'un sommeil profond. Je retire ce que j'ai dit, ils ne sont pas adorables.

Je me penche légèrement dans l'allée afin d'entrevoir les têtes des gens dans la rangée face à moi. Leur nombre considérable me fait regretter mon premier trajet. Soudain, un cri strident vient fendre l'air du train. Des cris d'enfants. Mes yeux sont immédiatement captés par cette femme bien embêtée? sa petite fille de quatre ou cinq ans et son nourrisson qui éclate en sanglots dans ses bras. Elle lui chuchote des mots à l'oreille, le berce mais rien ne semble le calmer. Je pose un regard compatissant sur elle face au râle de certain passager désagréable. C'est le souffle agacé de l'homme en face de moi qui me fait détourner les yeux. Bien fait.

N'ayant plus personne à regarder, je m'enfonce dans mon siège et songe à la meilleure manière de tuer ces trois bonnes heures de route. Un fort mal de crâne menace déjà de pointer le bout de son nez alors que nous venons à peine de démarrer. C'est définitif, je déteste le train.

Je repense au moment où Ani a tapé un message sur son téléphone, juste avant que le train démarre. Grâce au sourire qu'elle essayait pourtant tant bien que mal de cacher, j'ai très vite compris que ce texto m'était destiné. J'ouvre donc mon sac et y sort mon téléphone.

J'ai un temps d'arrêt en le voyant, et pour cause, il est éteint depuis samedi dernier. J'hésite à l'allumer. Ma boîte vocale doit être pleine et le simple fait de voir tous mes messages en absences va me faire culpabiliser. Alors je range mon téléphone.

Je pose ma tête en arrière et regarde le paysage défiler à travers la vitre. Le vent souffle et fait pencher les arbres tandis que la pluie s'abat sur la vallée que nous traversons. J'avais espéré trouver un peu de joie et de fraicheur dans la vue. C'est loupé. Je ferme les yeux en espérant que le sommeil me gagne rapidement, comme à l'aller. Mais visiblement le destin semble complètement repoussé l'idée d'un trajet semblable à celui que j'ai fait samedi. Je me force, gigote, chantonne des chansons dans ma tête mais rien n'y fait. Je rouvre les yeux à peine cinq minutes plus tard, puis attrape de nouveau mon cellulaire.

Une petite lumière jaillit de l'écran et je suis soulagée d'avoir encore de la batterie. Je déverrouille le téléphone et rentre le code de ma carte Sim. Aussitôt, un flot de petits "bips" et de vibrations se fait entendre. Je gagne un regard noir de la part de la femme assise face à moi et  décide de le laisser en silencieux sur mes genoux deux minutes, le temps que tous les messages arrivent au compte-gouttes.

Je devrais répondre à chacun d'entre eux, mais je sais que je ne le ferais pas.

Quelques minutes plus tard, je finis par le reprendre. L'image de mon écran d'accueil me choque. 120 appels manqués et 256 messages non lus. 256 putains de messages non lus. J'en perds le souffle. Même en comptabilisant tous mes anniversaires, je suis persuadée que jamais je n'ai reçu autant de sms. Ceci me rend d'autant plus mal.

Je n'ai pas de réseau, donc je ne reçois, en plus, pas les notifications de mes réseaux sociaux. J'ai peur que le bilan s'alourdisse encore. Ça me donne la nausée.
Je respire doucement et ouvre l'application message.

Comme prévu, la plus récente conversation est celle que j'ai avec d'Ani. C'est drôle en y repensant puisqu'il y a encore quelques jours, on ne s'adressait plus la parole. Je l'ouvre en premier.

Il s'agit d'une simple photo de nous deux, prise la veille. Elle y tire la langue tandis que je souris de toutes mes dents.
Je me rends subitement compte que, mis à part celle-ci, nos dernières photos datent d'il y a six longs mois.

Il y a six mois, tout était tellement différent.

Je l'enregistre, satisfaite de l'air complètement naturel du cliché, afin de l'imprimer plus tard.

Je quitte la conversation le sourire aux lèvres. Mais ce dernier se fane rapidement à la vue de ma deuxième discussion la plus récente, celle de ma mère. Je l'ouvre et ma mâchoire se décroche face au nombre faramineux de messages.

"Réponds moi"

"Marylou où as-tu ?"

"Reviens"

"Ce n'est pas ta faute"

"Rentre immédiatement !"

"Comment vas-tu ? "

"Excuse moi"

Et j'en passe.
Je me sens trop coupable.
Son dernier date d'il y a à peine vingt-cinq minutes. Pour mon bien, je ne lis pas tout et change rapidement de conversation. Je sais que je lui dois des explications, mais d'ici trois heures je serais devant elle, alors rien ne presse. Dans ce cas de figure, Eleonor aurait bien raison de me traité de lâche.

Je scrolle du bout du pouce les autres conversations. Sam, Isaac, papa, Anastasia... Je n'en ouvre aucune, bien trop apeurée par ce que je vais y trouver.
Je continue de faire défiler mes discussions mais n'aperçois toujours pas le nom de Chris. Malgré moi, je ne peux réprimer un pincement au cœur. Je pensais qu'il aurait été le premier à m'envoyer un message. J'aurais aimé qu'il soit le premier à m'envoyer un message. J'essaye de me cacher à moi-même le fait que je suis déçue.

Finalement, je décide de taper son nom directement dans la barre de recherche, en espérant ne pas l'avoir vu passer lors de ma première inspection. Je tombe sur son numéro et accède à la conversation. En effet, j'ai dû faire défiler les noms trop rapidement car je remarque qu'il m'a bel et bien envoyé un message. Cependant, je ne trouve qu'un seul et unique sms, totalement différent de ceux que j'ai pu lire auparavant.

Chris le dentifrice
C'était ça que tu ne pouvais pas effacer ?

Je relis encore et encore son message. Sans vraiment comprendre.
Ce n'est qu'au bout d'un moment que la nuit de la pool party me revient en mémoire. Cette nuit-ci, il m'avait raccompagné chez moi. C'est à partir de là que je me suis rendu compte que Chris était bien plus que ce qu'il laissait entrevoir de lui. Au premier abord, il a l'air assez froid et arrogant. Mais il suffit de s'intéresser un minimum à lui pour découvrir un tout autre garçon. Je l'avais compris ce soir-là. Mes doigts se mettent à taper tout seul une réponse.

Loulou le tofu
Je crois bien que oui.

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