Chapitre 53

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Il est minuit passé et je suis assise sur le quai de la gare de ma ville. Mon train ne devrait pas tarder. Je ne sais toujours pas ce que je fais. N'importe quoi, sans doute.

J'ai éteint mon téléphone au bout du quatrième appel de ma mère. Elle doit être morte d'inquiétude. Je n'ai pas non plus fait attention aux messages et appels de Sam, Isaac ou Chris. J'ai juste glissé mon cellulaire dans mon décolleté, par manque de poche.

J'ai froid. Les poils sur mes bras nus ne cessent de se hérisser. Je regrette de ne pas avoir pris de veste.

Il n'y a pas grand monde à la gare. A une heure pareille en même temps.
Dieu merci, j'ai toujours la merveilleuse idée de mettre du liquide dans ma coque de téléphone. J'ai investi la totalité de mes trente euros dans ce billet de train.

C'est presque naturellement que je me suis dirigée jusqu'ici. Ça me parait logique d'aller là-bas. Même si en toute honnêteté, je ne vois pas où aller d'autre. 
Jamais de ma vie je n'ai eu l'envie de fuguer. Le mot me parait gros dans ce cas de figure. Je veux juste me couper de tout ça un moment. Respirer un autre air. Mais surtout retourner à la source du problème. Il est temps de me rendre compte que je ne peux rien reconstruire si mes fondations sont pourries jusqu'à la moelle.

Légalement, j'ai le droit de voyager seule, je ne suis donc pas en tort. Pour autant je ne me sens pas à l'aise. Comme si le mot "mineur" était écrit au marqueur indélébile sur mon front.

La charmante voix de la gare m'informe que mon train sera la d'une minute à l'autre. Je me lève et scrute les personnes debout près de moi sur l'arrêt. Plusieurs hommes d'affaires. Un couple avec les mains chargées de sacs, probablement remplis de souvenirs plus inutiles les uns que les autres. Une petite famille avec des valises dans les mains et quelques autres personnes lambda, le nez collé à leur téléphone. Nous ne sommes pas beaucoup, une vingtaine seulement. Ce chiffre me parait assez démesuré au vu de l'énorme TGV qui s'approche de nous.

Lorsqu'il est totalement immobile et que les portes s'ouvrent, j'arpente les wagons à la recherche de ma voiture. Une fois montée, je regarde mon billet et m'installe à la place qui y est indiquée, en deuxième classe. Je glisse côté fenêtre et remercie le ciel d'avoir laissé les places vides autour de moi.

En général, j'ai peur de me retrouver seule à rien faire. Je sais pertinemment que je vais me perdre dans mes songes, et ces derniers ont pour habitude de m'engloutir. Mais pas aujourd'hui. La perspective de ces trois heures en tête à tête avec moi même arrive de bonne augure. Mes écouteurs auraient été les bienvenues, mais je dois faire sans.
J'attends que le train se mette en marche pour poser ma tête contre la vitre. Le chauffage d'ici me redonne de la vigueur, calmant mes frissons. Il fait nuit noire à l'extérieur et j'éteins la petite lumière positionnée au-dessus de mon siège.

J'inspire un bon coup.

Quelle soirée.

J'essaye de me remémorer chaque phrase prononcée mais je crois que mon esprit est encore trop embrouillé pour remettre les scènes dans l'ordre.
Je me souviens avoir dit ce que j'avais sur le cœur. Pardon, je me souviens avoir balancé en pleine gueule à mes parents ce que j'avais sur le cœur.
Mais malgré les atrocités que j'ai pu dire, je me sens étrangement bien. Libérée d'un poids insoutenable sous ma poitrine.

Ce dont je me souviens parfaitement en revanche, c'est ce que m'a dit maman. Elle m'a dit d'accepter. Même un aveugle constaterait que je n'y arrive pas. Je crois que je refusait jusque là de me rendre à l'évidence alors même que je le savais au fond de moi. Mais c'est tellement plus facile de fermer les yeux plutôt que de se l'avouer.

Accepter que d'aller mieux. Avouer que je vais mieux. 

Le problème c'est que je refuse d'aller mieux.

Ça paraît tout con, mais c'est tellement difficile.
Le déménagement y est pour beaucoup. J'ai fait en l'espace de quelques mois tant de chose que je n'aurai jamais espéré faire un jour. J'ai repris le piano, je me suis fait des amis, j'ai arrêté de pleurer en regardant des photos de Camille. J'ai même songer à l'aborder réellement à voix haute, à nouveau. 
Mais en allant mieux, j'ai l'impression de trahir Camille. Comme si j'acceptais sa mort, alors que jamais je ne pourrai l'accepter.

C'est comme dans les films débiles qui passent à la télé après le déjeuner. Ces films où un veuf refuse catégoriquement de retomber amoureux. J'ai l'impression d'être un peu pareil. J'ai l'impression de refuser d'être heureuse à nouveau.

Je crois que j'ai peur aussi. Peur de vivre sans Camille. Paradoxalement, cela fait cinq ans qu'elle n'est plus là, pourtant ce n'est que maintenant que la vision d'une vie sans elle se dessine et surtout m'effraie. Avant, je n'osais l'espérer ou même me la figurer. Comment aurais je pu vivre sans Cam' ? Non, je me contentais d'être là, avec ce trou béant dans ma poitrine.

C'est fou. J'ai l'impression d'aller beaucoup mieux, mais le fait de repenser à tout ça me fait toujours aussi mal. Tellement mal

Est-ce que la douleur partira un jour ? J'en doute.

Je regrette tellement de choses. Je regrette tous les moments que je n'ai pas passé avec elle. Je regrette toutes ces fois où l'on s'est disputées. Il nous arrivait de s'énerver à s'en détester. Ce jour-là, Camille était énervée à m'en détester. Et je regrette que cela soit le dernier sentiment qu'elle ait éprouvé à mon égard.

Je passe ma main sur ma joue pour attraper la seule et unique larme qui a roulé sur cette dernière. Je me fais la promesse que ce sera la seule durant ce trajet.

Au même moment, une petite fille traverse la rangée de sièges et s'arrête devant moi. Elle doit avoir sept ans, tout au plus. Ses longs cheveux noirs retombent sur ses fines épaules. Ses grands yeux bleus me scrutent attentivement. A la vue de mes yeux humides elle fronce les sourcils. Deux bonnes minutes se passent où ni elle ni moi ne détournons le regard. Elle finit au bout d'un moment par me sourire. Un véritable sourire d'une gosse de sept ans qui a le don de faire chaud au cœur. Je n'ai pas le temps de le lui rendre qu'elle s'éloigne déjà pour retrouver ses parents au fond du wagon.

Je détourne alors les yeux vers le paysage qui défile devant moi et m'endors sans m'en rendre compte.

***

-Mademoiselle ?

Je sens qu'on me tapote l'épaule et qu'on me tire peu à peu des bras de Morphée. Je peine à ouvrir les paupières et découvre un homme debout face à moi lorsque mes yeux s'adaptent à la lumière du wagon. Merde, j'ai dormi tout le trajet.
Le contrôleur, je présume, qui semble très jeune, me sourit timidement.

-On est arrivé.

Je me tourne vers la fenêtre et en effet, je reconnais la gare de Promance. J'articule deux trois excuses de ma voix endormie, lui arrachant un petit rire. Il lève les yeux vers le porte-bagage au-dessus de ma tête mais n'y trouve rien.

-Je n'ai pas pris grand-chose.

Il hoche la tête et se décale pour me laisser passer. Je traverse l'allée centrale et me dirige vers la sortie la plus proche, le cerveau encore dans le cake. Il me suit. J'imagine que je suis la dernière passagère et qu'il attendait que je me réveille pour sortir du train.

Je saute sur le quai puis me retourne vers lui afin de lui souhaiter une bonne nuit. Il me remercie en accompagnant ses paroles d'un clin d'œil et s'empresse de continuer avant que je me retourne.

-Bonne chance.

Je lui souris sincèrement puis tourne les talons pour regagner le bâtiment. Je ne sais pas vraiment ce qu'il imaginait mais je prends. Même si c'est plutôt de beaucoup de courage dont je vais avoir besoin.

La chance semble cependant de bonne augure ainsi qu'avec moi puisque je découvre qu'à cette heure-ci, il y a encore des bus. J'avais un doute mais on est samedi, et je sais qu'il y a souvent des bus qui traversent les petits villages du coin afin de déposer ou de récupérer les ados des campagnes voisines qui se rendent à Promance pour faire la fête. Promance étant la seule véritable "ville" du coin.

Je n'ai jamais eu besoin d'emprunter ces bus, mais il faut une première fois à tout.
Le prochain est dans 15 minutes. Ce timing est excellent. Je m'assoie donc dans la gare, au chaud et me bas contre mon envie irrépressible de dormir.

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