Chapitre 44

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J'ai séché mon cours de sciences. Je sais pertinemment que mes parents me trucideront lorsqu'ils l'apprendront, mais pour le moment, c'est la meilleure décision que j'ai prise aujourd'hui. Je n'aurai pas pu supporter les remarques sadiques de monsieur Clarke et la vue de mes deux meilleurs amis. Ou plutôt la vue de mes deux ex meilleurs amis.

On pourrait penser que je dramatise trop. Que ce n'est qu'une dispute passagère qui sera réglée dans trois jours, tout au plus. Mais le regard que Sam m'a adressé tout à l'heure, me force à penser le contraire. Une inconnue. J'avais l'air d'une parfait inconnue.

Je me suis donc réfugié dans une des nombreuses toilettes de ce lycée. Là-bas, j'ai pu pleurer avidement sans que personne ne me voie, puis déverser mon déjeuner dans la cuvette.
J'y ai par a même occasion beaucoup réfléchi.

De quoi est-ce qu'elle parlait ?

Sam m'a dit que ce qui s'était passé avant mon déménagement était grave. Or, il ne s'est rien passé. Notre vie était plate depuis que mon père avait perdu son travail. C'est d'ailleurs en partie cette vie monotone, dénuée d'évènements, qui nous a forcé à partir. Alors j'aimerai qu'on me dise ce qui a bien pu se passer pour que mes amis me lâchent du jour au lendemain sans que je puisse m'expliquer et pour que, par-dessus tout, je devienne tout à coup aussi populaire.

La maudite, il faut se le dire, sonnerie retentit et je dois utiliser toutes mes forces pour me lever. Mes muscles me font mal et de petites pastilles noires dansent devant mes yeux. Comme si la grippe de la semaine dernière n'était jamais partie. Je n'ai aucune envie de retourner en cours mais je dois prendre sur moi. Un pas après l'autre. 

Je veux comprendre ce qui se passe. Je ne sais même pas de quoi je suis accusée mais je veux que les gens qui comptent m'écoutent et me croient moi, plutôt que cette stupide rumeur, puisque visiblement il s'agit d'un ragot dont les petits lycéens sans aucune autre satisfaction que le malheur des autres sont avides.

Je déambule dans le couloir. La capuche de mon sweat rabattue sur ma tête. J'aimerai être partout sauf ici. J'enchaîne avec des maths. Isaac et Sam seront tous les deux dans ce cours.

Alors que je m'apprête à tourner, j'aperçois du coin de l'œil une fille qui me regarde soucieusement.  Je ne la connais absolument pas et serai incapable de deviner son âge. Autant, sa coiffure et son look lui donnent un air très enfantin, autant ses traits semblent avoir une vingtaine d'années. Sa présence lors de la présentation de l'asso de journalisme de l'école me revint alors en tête.

Lorsqu'elle remarque que je l'observe, elle baisse la tête et s'apprête à s'enfuir. Or, j'en décide autrement en saisissant son bras doucement. 

-Attends une minute. 

-Je dois aller en cours. 

-Avant ça, explique moi pourquoi on me regarde comme une bête de foire. 

Elle relève les yeux vers moi doucement. Elle a l'air complètement apeurée. 

-S'il te plait. 

Elle lance un regard circulaire autour de nous et semble miraculeusement avoir pitié de moi. baisse un petit peu le ton et me demande :

-C'est ... compliqué à expliquer.

-Dit le moi. 

Je prends mon air le plus déterminer alors que je suis obligée de cacher mes mains dans la poche de mon pull pour ne pas qu'elle les voit trembler.

-On raconte que tu as été viré de ton ancien lycée parce que tu as poussé une fille sous une voiture.

Elle sort ça sans s'arrêter, d'une traite. D'une manière anodine, absolument pas proportionnelle à ses propos.

Je commence à rigoler. Un vrai rire jaune. Un rire des plus difficiles à arrêter. Je deviens folle.
J'essaye de deviner une pointe d'ironie dans ces paroles, mais il n'y en a pas. Cette fille est on ne peut plus sérieuse.

NON MAIS ON EST OU LA ?!
Dans un film, une caméra cachée ? C'est quoi encore cette histoire tirée par les cheveux ?
Histoire, qu'en plus, tout le monde semble croire et connaitre.
Sérieusement, qui peut croire à une connerie pareille ?
Un flot d'insulte me vient en tête. Je sens mon sang pulser dans mes veines et ma tête chauffer. Je suis en colère contre la terre entière.

La fille devant moi doit être en panique, ne comprenant pas pourquoi une fille qu'on accuse de meurtre lui rit au nez. Putain. Rien que le dire me semble ridicule.

-Excuse moi hein, mais d'où tu la sors ta merde ? soufflais je en tentant de reprendre mon souffle.

Je prends ça à la rigolade mais au fond de moi, j'ai envie de pleurer.

-Il y a des preuves.

Maintenant c'est une enquête policière. Je suis en train de rêver. Personne de censé ne pourrait gober cette histoire.

-Écoute, je ne comprends strictement rien à ce que tu me racontes.

-Je ne suis pas sûre. 

- Dit moi.

Elle soupire.

-Ca vient d'une fille de ton ancien lycée, propagée par quelqu'un d'ici, m'informe-t-elle sur la défensive, comme si à tout moment j'allais sortir un couteau de ma poche et la poignarder.

Une fille de Stanford ?

-D'autres lycéens l'ont affirmé, il y a des articles, des témoins, continue-t-elle. ça parait un peu gros comme blague, tu ne crois pas ?

Elle semble reprendre contenance et m'accuser ouvertement. Le club journaliste oui, ça doit être ça.

Personne ne semble estimer que je vaux la peine de me défendre. Je me surprends à me pincer l'intérieur du bras pour tenter de me sortir de ce rêve. Ou plutôt de ce cauchemar. La sonnerie annonce le début du prochain cours, mais je la retiens avant qu'elle ne se retourne :

-Attends une minute, qui est la fille qui a répandu tout ça ?

Elle souffle une nouvelle fois mais réfléchit un instant. Un instant qui me parait durer des siècles.

-Du lycée, je ne sais pas. Mais je crois que l'autre avait t"moigner. C'était quoi son nom déjà ?Elona, ou Elea , je ne sais plus...

-Eleonor.

-Oui c'est ça ! 

Son soudain enthousiasme se tarie en une fraction de seconde. 

-Bon je dois aller en cours maintenant, articule-t-elle avant de s'éloigner

Cette histoire qui me paraissait des plus absurdes il y a encore quelques minutes, prend tout son sens désormais. Eleonor. C'est elle.

Eleonor, Suzanne, mon téléphone. Les pièces du puzzle s'assemblent.

Eleonor.

Je l'ai toujours sur. J'avais beau me persuader qu'elle avait coupé les ponts avec moi car elle préférait Cam', que son amie c'était Camille, pas moi, j'ai toujours su qu'il y avait quelque chose d'autres. Quelques choses de bien trop lourd pour des enfants comme nous. Or aujourd'hui, nous ne le sommes plus et elle est toujours en colère, comme au premier jour. Elle ne m'en veut pas de n'être pas aussi extraordinaire que Camille. Pas plus qu'elle n'en veut à l'univers de lui avoir enlevé son amie. Elle pense que je suis coupable. Elle m'en veut, à moi, de l'avoir tué.

Ces derniers mots qui ne sont pourtant prononcés que dans mon esprit, me donnent la claque la plus phénoménale de toute ma vie.
J'avais réussi à me déculpabiliser, à me dire que je n'y étais pour rien dans la mort de ma sœur jumelle. Mais à cet instant précis, alors que je commencer à atteindre la surface, je me sens plonger dans les abysses.

Ce n'était pas un accident.

C'est de ma faute.

J'ai tué ma sœur.

TwinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant