Lorsque je me retourne pour faire face à la salle, mon plateau dans les mains, je me sens mal à l'aise. Pourtant je ne devrais pas. J'ai déjà manger des centaines de fois seule à Stanford, je ne comprends pas pourquoi ici je serais gênée. A cette heure-ci, le réfectoire est bondé et les tables vides se font rares. Je ne prends même pas la peine de chercher Isaac des yeux. Certes, il est le seul qui m'ait adressé ma parole mais jamais ô grand jamais je n'aurai le cran de m'incruster à sa table. Je voyage donc dans la cantine, à l'affut de la moindre chaise libre. Ce n'est pas mon jour, j'ai visiblement trop tardé. Je décide finalement de sortir, comme l'ont fait les autres retardataires, et de m'installer sur une table à l'extérieur. Il fait froid, la brise fait voler mes cheveux, mais de petits rayons de soleil arrivent s'échapper de derrière les nuages.
Je triture ma purée avec dégout. La cantine infecte vient se placer en deuxième position dans ma liste des défauts de ce lycée, derrière le manque de panneaux pour se repérer dans les couloirs. Je souffle péniblement et laisse ma tête retomber lourdement sur la paume de ma main. Ma journée n'est pas si catastrophique qu'il n'y paraît, elle est fade, comme d'habitude. Je ne sais pas à quoi je m'attendais ce matin en étant tout excitée. Ce n'est pas parce que je change d'environnement que le reste suis. Je suis toujours la même. Fade
Je me lance alors dans la contemplation des élèves à mes côtés en délaissant ma purée pour mon pain. Mon regard se perd au loin, et c'est la vision d'une chevelure rousse qui s'assoie à mes côtés qui me fait retomber sur terre. Je sursaute, surprise et tourne la tête vers les deux nouveaux arrivants. Isaac me fait face et s'apprête à croquer dans son sandwich tandis qu'une fille de ma classe, dont je ne connais pas le nom, m'adresse un grand sourire. Je la fixe, perplexe.-Quelque chose me dit que tu as besoin de compagnie, me lance-t-elle en ouvrant le couvercle de son bol de salade.
Je cherche, un instant, une quelconque marque de jugement dans sa voix, mais n'y discerne que de la sympathie. Cependant, je me méfie et mes muscles restent contractés.
-Tu n'attendais personne ?
Je la regarde désappointée. C'est fou cette manie de croire que les autres ont toujours de mauvaises intentions. Détends-toi.
-Non, il n'y a que moi et ma purée froide.
-Hum oui, j'aurais dû te prévenir qu'il faut éviter la purée, le chou et les épinards ici, articule Isaac en mâchant son jambon-beurre.
-Tiens, prends ma pomme, me propose la rouquine en me tendant le fruit.
Je refuse poliment. Je ne veux pas l'aumône, et encore moins devoir des choses aux gens. Pour ne pas lui débiter ça dans la figure, je prétexte que je n'ai pas faim. Cependant, mon ventre me trahit en gargouillant gracieusement.
-Tu vas en avoir besoin.
Je soupire et attrape la pomme, sachant qu'elle a raison. Ce n'est pas avec deux maigres tartines de pain que je vais affronter cette journée. Je la remercie mais ne peux achever ma phrase, ne connaissant toujours pas son prénom.
-C'est Sam, m'informe Isaac d'un signe de tête.
-En chair et en os !
Je la regarde un poil amusé. Cette fille m'a l'air haute en couleur. C'est maintenant à moi de me présenter, cependant, rien ne sort.
-Samantha Dunkan, Sam pour tout le monde. Future scientifique, liée d'amitié avec cet abruti à mon plus grand malheur depuis le collège et en proie à une nouvelle présence féminine dans mon cercle d'amis. Enchantée.
Un sourire franc se dessine cette fois ci sur mon visage. Elle est gentille, elle veut te mettre à l'aise. J'aimerai avoir son aisance à sympathiser presque naturellement avec des inconnus. Cependant je reste moi.
-Je suis Marylou.
Je saisis sa main et effectue ma troisième poignée de la journée. Elle ne semble pas répulsée par ma réponse en trois mots et me souris.
Je les écoute papoter durant le reste du repas la bouche reste close. Il ne faut pas m'en demandé de trop non plus, ce n'est que le premier jour. Cependant, je m'amuse de leur bavardage. L'ambiance du déjeuner est détendue et bien plus agréable que ce qu'elle était censé être au départ. Sam est très sympa. Je ne comprends pas ce qu'elle attend de moi mais semble avoir été satisfaite des rares mots que j'ai prononcé. Sa crinière rousse et sa constellation de taches de rousseur sur le nez, la rendent très atypique, bien qu'elles lui donnent à mon humble avis un charme fou. Sam est vraiment belle. Mais la volonté qu'elle a d'assumer ses différences fièrement est encore plus incroyable.
La sonnerie annonçant la fin du déjeuner finit par retentir. Nous débarrassons, tous les trois la table puis partons dans des directions différentes. Isaac s'éloigne vers le terrain de rugby pour son entrainement, Sam bifurque vers le parking pour rejoindre sa salle à l'autre bout du bâtiment, tandis que moi, je me dirige seule, vers mon cours de littérature anglaise. Le seul moment divertissant de la journée est fini. En arrivant à mon casier, je suis trop concentrée à chercher mon carnet dans mon sac pour remarquer la fille qui y est adossée. Je manque de l'assommer en ouvrant grand la porte.
-Putain, t'es folle ou quoi ?
Je me confonds en excuse maladroite tandis que la grande brune m'observe, agacée. Je ne pense pas que ce mini accrochage mérite tant d'éclairs de sa part, mais m'abstient de dire quoi que ce soit. Elle finit par s'éloigner en faisant claquer ses talons contre le calage. Je fais semblant de ne pas entendre ses insultes et m'engouffre dans un couloir. Je tourne et retourne dans tout l'établissement, désespérément à la recherche de ma salle. Je commence à perdre patience. J'attrape violemment mon carnet de correspondance en espérant trouver une quelconque information dessus. Ce manque de vigilance d'à peine quelques secondes suffit à me faire percuter quelqu'un.

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Twins
Novela JuvenilMarylou n'a jamais vraiment su surmonter la mort de sa sœur jumelle. Cinq ans que Camille est morte, cinq ans que Lou' se sent vide à l'intérieur. Hantée par des souvenirs bien trop limpides, elle peine à remonter la pente. Et ce n'est non pas une...