Twins

Chapitre 13

Nous sommes pris dans les embouteillages dès l'entrée du centre-ville. Il va falloir traverser toute cette cité en effervescence pour atteindre la maison de Suzanne, qui se trouve à l'exact opposé de l'endroit où nous sommes actuellement.

-Rappelez-moi, qui a eu l'idée de prendre la voiture un vendredi soir pour traverser le centre-ville d'une métropole touristique ? demandais-je aux deux à l'avant, en posant chacune de mes mains sur l'épaule de leur siège respectif.

-Je peux te laisser sur le bas-côté si tu tiens à y aller à pied, renchérie Sam vigoureusement.

Je me rassoie au fond de mon siège en soufflant. J'examine alors l'intérieur de la Mercedes de Sam, d'un œil las. Je m'attarde sur les dizaines de tickets de parking qui remplissent le porte-bouteille, les papiers d'emballage de barres chocolatées qui ornent le sol à l'arrière, le couvre-volant rose bonbon immonde que Sam tient fermement entre ses mains, ainsi que le petit diddle qui se balance sous le rétroviseur. Une fois mon inspection terminée, je retombe dans un ennui profond et gigote dans tous les sens sur la banquette arrière, en quête d'une place confortable.

-Tu pourrais arrêter de gesticuler dans tous les sens, s'il te plait ? m'intime Isaac en levant les yeux de son cellulaire qu'il fixe depuis le début du trajet.

-On arrive quand ? 

-Marylou Martines, je pense que tu as passé l'âge, non ?

-Comme je te l'ai dit il y a cinq minutes, je ne sais pas ! S'exclame Sam, irritée par la situation.

Le comportement puéril que j'adopte semble bien amuser Isaac.
Le lecteur de CD lance une nouvelle chanson, encore plus ennuyeuse que la précédente. Je lorgne sur le titre et ne suis pas étonnée de découvrir un artiste que je ne connais ni d'Adam ni d'Eve. Sam est une personne incroyable, j'ai pu aisément le constater au court des dernières semaines, mais ses goûts musicaux laissent franchement à désirer.

-Bon Sam, si on reste enfermé dans cette voiture pendant un moment, je refuse que ce soit avec tes chansons de western qui sont plus vieilles que tes propres parents, commence Isaac, me devançant.

Elle pose une main à son cœur et pivote vers lui, outrée par ses propos.

-N'importe quoi ! Elles sont très bien mes musiques, n'est-ce pas ? me demande-t-elle en se retournant vers moi.

Je me mords la lèvre et la voiture tombe dans un silence qui veut tout dire. Elle hausse un sourcil et se reconcentre, vexée, sur la route. Après deux longes minutes de silence, elle appuie sur la touche eject de l'écran tactile de la voiture, enlève le CD et nous tend un câble USB. Isaac s'en saisie immédiatement et branche son téléphone à l'adaptateur. Une fois sur Deezer, je découvre, à ma grande surprise, que le blondinet écoute des morceaux se rapprochant de mon propre style musical, composé principalement de pop. Je vois la chanson Riptide de Vance Joy défiler parmi les suggestions et appuie sur le titre. Isaac ne bronche pas.
L'incroyable qualité audio de la voiture de Sam me fait frissonner. Je les écoute fredonner dans un premier temps, puis me met moi même à chantonner timidement. Les minutes passent, et l'habitacle se transforme en véritable salle de concert. Les chansons s'enchainent et nous finissons par chanter, que dis-je, crier tous les trois. Isaac nous livre sa meilleure performance sur Thrift Shop de Macklemore et Ryan Lewis, tandis que Sam se réincarne en Jessie J et moi en Ariana Grande sur Bang Bang, que nous reproduisons, soit dit en passant, à merveille.
Je ne me souviens pas m'être amusée de la sorte depuis longtemps.
Mes barrières tombent alors que mon sourire s'agrandit. 

Le trajet ne me parait plus si long et je suis presque déçue en voyant se dessiner au loin la maison de Suzanne. Je fais alors  face à une énorme villa moderne, éclairée de tous les côtés. Sous sa charpente en tuiles se dresse une jolie façade blanche à l'américaine, encadrant un nombre considérable de grandes fenêtres à guillotine. De lourds piliers blancs en marbre nous accueillent sur le perron. Sam m'interrompt dans ma contemplation en me prenant par le bras, et en nous entrainant dans la petite allée de cailloux. Un bruit sourd, auquel je n'avais jusque-là pas fait attention, me parvient progressivement aux oreilles. Les basses de musiques  semblent tambouriner les murs et les cris stridents des invités viennent déchirer la nuit sombre et silencieuse.