Chapitre 60

10 0 2
                                    

J'enfonce mes ongles dans mes paumes jusqu'au sang afin de me calmer. En vain. Incapable de rester immobile une seconde de plus, je quitte la table et fais les cent pas dans la pièce. Mes veines pulsent derrière mes tympans. J'ai chaud, terriblement chaud.

-Elle en l'aurai pas fait. Elle n'aurait jamais traversé si... 

-Parce que tu étais là peut-être ?

A ma différence, elle ne crie plus. Elle se contente de cracher ses mots avec répulsion, avec dégout. Droite sur sa chaise, ne semblant plus le moins du monde perturbée par la situation, son calme soudainement olympien ne fait qu'accentuer ma colère.

-Tes parents ont tout raconté aux miens.

Ça je le sais très bien. J'en ai éperdument voulu à mes parents d'avoir répandu la rumeur comme une trainée de poudre. Or, il fallait bien se faire une raison, dans un petit village comme le nôtre où il ne se passe rien, une nouvelle comme ça ne reste pas très longtemps sous silence.

Par le biais de notre amitié à toutes les trois, nos parents étaient devenus amis. Ils étaient mêm très proche à y penser. Ils le sont toujours techniquement. Il n'y a aucun froid entre eux. Cependant, l'arrêt soudain de nos rapport avec Eleonor et le contexte générale ont fait qu'ils n'avaient plus l'occasion de se voir. Par la suite, leurs échanges sont devenus rares. Ils se limitaient à des rencontres à la boulangerie ou à l'église. Le "vous viendrez manger à la maison un de ces quatre" est devenu banalité courante, échangée à chaque entrevue. Mais jamais aussi bien mes parents que les siens, n'ont tenu leur promesse.

-Tu n'avais pas le droit de me l'enlever !

-J'avais onze ans Ele'.

Je ne sais pas pourquoi je l'appelle par son surnom. C'est sorti naturellement alors que ça ne le devrait pas.

-ça n'excuse pas tout, renchérie-t-elle en croisant ses bras sur sa poitrine.

Je soupire et retourne m'asseoir à ma place. Elle est butée et ne semble pas être apte à changer d'avis sur l'opinion qu'elle a de moi. 

Eleonor est fille unique. Avec l'âge, je sais maintenant qu'elle a toujours envié la relation que j'avais avec ma sœur, voir la jalousait. J'ai fini par comprendre qu'elle souhaitait trouver à nos côtés la complicité qu'elle aurait voulu avoir avec une soeur qu'elle a toujours espéré, mais n'a jamais fini par avoir. Dans le fond, malgré toutes se copines qui lui mange dans la main et la vie parfaite qu'elle se donne, Eleonor a toujours été terriblement seule. Or, du haut de mes 11 ans, je ne le comprenais pas. Je commence en réalité seulement à m'en apercevoir et paradoxalement, ça fait un mal de chien. Ca me fait mal de ressentir seulement maintenant de la culpabilité envers elle, tout comme cela me fait mal d'en ressentir tout court à son égard, après tout ce qu'elle m'a fait subir.

Un lourd silence s'installe entre nous. Toutes les deux en pleine réflexion, il n'y a que le bruit de la VMC qui flotte dans l'air. 

-Je sais que je n'ai pas été une très bonne amie, mais je reste persuadée que ça aurait été plus facile pour nous deux si tu ne m'avais pas aussi abandonné.

Je me suis souvent demandée comment tout ça se serait passé si j'avais eu une amie à qui me confier, une épaule sur qui me reposer. Et je commence à penser qu'Eleonor aussi y a songé. Peut être bien plus que moi finalement.
A ce moment-là, je ne connaissais pas encore Ani. Parfois j'aurais aimé qu'elle arrive plus tôt dans ma vie, juste pour voir comment j'aurai réagi. Si elle avait emménagé au moment où je ne m'étais pas encore créé une carapace, je ne serais peut-être pas la même qu'aujourd'hui. Tout serait peut être complètement différent. Or, différent ne veut pas nécessairement dire mieux.

TwinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant