Je passe les larges portes blanches du conservatoire, la boule au ventre, les mains moites. J'observe pour la deuxième fois de ma vie, ce petit hall, aux murs fraichement repeints. Les talons de ma mère claquent sur le carrelage authentique aux couleurs bleutées, et résonnent dans toute la pièce. Une odeur de poussière et d'humidité me chatouille le nez. Bon sang, tous les conservatoires du monde ont ce genre de parfum ? Les similitudes avec mon ancienne école ne sont pas nombreuses, mais tout semble me ramener à elle. Je revois les couloirs, les vieilles salles de classe, le minuscule auditorium qui pouvait à peine contenir l'ensemble de jeune, le dernier étage condamné où on se risquait à monter les premières marches, les larges fissures qui couvraient les murs, le tableau d'affichage qui était, deux fois par an, placardé des résultats d'examen. Je m'imagine encore monter l'escalier, tourner à gauche, et rejoindre la salle de violon pour attendre Camille, qui finissait plus tard que moi. J'ai l'impression qu'elle est là, à deux pas de moi, mais que je ne peux pas l'atteindre. L'endroit n'est pas le même, mais l'ambiance et l'énergie ont l'air si similaire, que mes poumons manquent d'air. Je suffoque en silence, comme si on aspirait tout l'oxygène de la pièce, mais que j'étais la seule à être affectée. Je cligne des yeux pour chasser ces images de mon champ de vision mais peine à retourner dans le monde réel. Je me sens comme dans un univers parallèle, bloqué entre deux endroits différents, et deux temporalités différentes. Emprisonnée dans un entre deux terrifiants. Soudain, je sens une violente pression sur mon bras. On me fait pivoter et d'un coup, tout redevient normal. Je suis ici, en ville, j'ai seize ans, et ma mère me regarde dans le blanc des yeux.
-Tout va bien se passer, me murmure-t-elle alors que je sors à peine de ma torpeur.
Je regarde autour de moi, mais n'aperçois plus les murs beiges de mon ancien conservatoire. Il sont de différentes teintes de gris. Je suis ici, dans le monde réel, sur la terre ferme. Je respire profondément plusieurs fois, comme j'ai appris à le faire des années auparavant, pour gérer mon stress avant les concours ou examens. Ces putains d'exercices de respirations me sont malheureusement utiles au quotidien et pas uniquement dans le cadre de la musique. Ma mère inspire et compte avec moi jusqu'à cinq. Nous répétons l'opération jusqu'à ce que je sois complètement calmée.
Inspirer par le nez.
Bloquer sa respiration cinq secondes.
Expirer lentement par la bouche.
Elle me questionne du regard et j'acquiesce, signe que nous pouvons y aller.
Elle me dirige donc vers les escaliers et bien que je veuille assister à cette rencontre, une force indéfinissable me tire vers l'extérieur et me pousse à m'enfuir. Ma mère me conduit vers la salle F et toque vigoureusement à la porte. Je me force à me débarrasser de ces pensées sordides, à faire bonne figure, et à aller au bout des choses, pour une fois dans ma vie. On nous indique d'entrer et nous faisons face à deux hommes. L'un est assez petit. Sa chevelure ébène est parsemée de petits épis gris et ses yeux noirs semblent sourire. L'autre, plus enveloppé et bien plus âgé, a une allure de père noël avec quelques années et rides en moins.
-Je suis Mr Venson, annonce ce dernier une fois que les banalités ont été dites, le directeur de cette école et je vous présente Mr Thomas le professeur de piano.
Je souris timidement et laisse ma mère répondre, elle est assez douée dans l'art de parler, parfois même un peu trop. Je l'écoute d'une oreille plus ou moins attentive. Mon attention est plutôt tournée vers le magnifique piano à queue qui se trouve devant moi. Aucune trace de doigts ou à-coup ne vient ternir sa beauté. Mes yeux brillent d'émerveillement à l'idée de frôler les touches.
-Marylou a commencé le piano à l'âge de cinq ans...
-Excusez-moi mais... coupe mon nouveau professeur, j'aimerais qu'elle se présente elle-même.

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Twins
Teen FictionMarylou n'a jamais vraiment su surmonter la mort de sa sœur jumelle. Cinq ans que Camille est morte, cinq ans que Lou' se sent vide à l'intérieur. Hantée par des souvenirs bien trop limpides, elle peine à remonter la pente. Et ce n'est non pas une...