Chapitre 52

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Cette scène, je me la suis remémorée des milliers de fois. J'ai imaginé tous les scénarios possibles et j'en suis toujours arrivée à la même conclusion. Sans ce que j'ai fait, elle serait encore là aujourd'hui. Camille n'aurait pas traversé. Elle est morte par ma faute.

-Pourquoi tu ne nous en as jamais parlé ?

Je suis presque étonnée d'entendre la voix d'Isaac résonner, lui qui n'a pas prononcé le moindre mot et que je n'aurais jamais imaginé oser briser ce silence inconfortable. Je me tourne vers lui robotiquement, et sursaute en constatant que les autres sont là aussi. Mince, je les avais oubliés ceux-là.

-Comment voulais tu que je vous en parle ?

Même si j'omets le fait que c'était contre ma propre volonté, à bien y réfléchir, je ne vois pas comment j'aurais pu leur expliquer. Rien que d'y penser me déchire le cœur, tandis que se bouts brisés me transpercent les poumons. Alors l'évoquer à des inconnus, n'y pensons pas. Au mieux on aurait eu pitié de moi, et le simple fait que je puisse inspirer ce sentiment me fou la gerbe.
Mon regard croise celui de Suzanne et je suis, tout à coup, envahie d'une profonde colère, transformant le temps d'un instant mes pleurs en larmes rageuses.

-Merci d'avoir remué le couteau dans la plaie.

Tout le monde se tourne frénétiquement vers elle. Elle se contente de me faire les gros yeux, comme si je venais de faire une gaffe.

Je peux aisément voir les rouages du systèmes s'enclencher chez tous mes amis lorsque leur regard d'incompréhension se décompose. L'action ou vérité de la dernière fois doit leur revenir en mémoir

-T'es dégueulasse, crache alors Chris le ton froid.

Je suis entièrement d'accord. Je ne sais pas ce que j'ai fait à cette fille pour qu'elle s'acharne sur moi de cette manière. Rien sans doute. C'est ce qui est le plus écœurant.

-Je croyais que tout cela était derrière nous...

Ma mère détourne l'attention de Suzanne, au grand soulagement de cette dernière.
Je lis tellement de questions dans leur regard qu'une part de moi arrive à s'en vouloir. Je ne leur ai jamais confié le malaise que j'éprouvais vis-à-vis de Camille. Ils ne l'ont jamais entendu de vive voix. Peut-être qu'ils s'en sont aperçus, malgré mes efforts pour le leur cacher. Or je pense qu'ils n'ont jamais voulu le voir.

-Pour vous oui, mais pas pour moi.

C'est la vérité et même si ça me tue d'enfin me l'avouer à moi-même : je n'ai toujours pas fait le deuil de Camille.
C'est tellement frustrant. J'ai eu la volonté pourtant. Dieu sait que j'ai essayé. J'ai voulu me sortir de là, je m'en suis donnée les moyens tellement de fois, aussi tordus que soient ces moyens. Mais le problème c'est que le moindre petit moment de faiblesse me fait tomber encore plus bas. Je me noie chaque fois un peu plus et un peu plus longtemps. Ce que les psychologues s'efforcent de cacher à leurs patients, c'est que le précipice de la déprime n'a pas de fond. C'est une chute libre, où seul les plus courageux arrivent à actionner leur parachute.

-Lou', soupire mon père, ça fait cinq ans maintenant...

-ET ALORS ? JE PEUX SAVOIR OU EST LE PUTAIN DE RAPPORT ?

Je m'énerve tellement vite. Je ne suis pas à fleur de peau, sauf pour Camille. Je me déteste de constater qu'aujourd'hui, elle fait ressortir ce qu'il y a de pire en moi.
Je sais que c'est le moment. Ce moment que j'ai à la fois toujours voulu éviter mais aussi crier à la gueule de mes parents. Ça me gêne un peu d'avoir cette discussion devant tout ce monde, j'aurais préféré quelque chose de plus intime. Mais je suis trop lâche pour avoir le courage de reprendre plus tard.

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