Nous demeurons toutes les deux là, face à face, muettes, pendant de longues minutes. Aucune ne semble trouver les mots. Je fixe donc mon attention sur l'aquarium derrière elle, et regarde les poissons faire des vas et viens.
Il y a du progrès. Il y a six mois, nous aurions été incapables de tenir une conversation comme celle-ci puisque qu'aucune de nous deux n'arrivait à supporter l'autre.
Je suis fière de l'amélioration qui s'est opérée en moi. J'ose lui tenir tête. J'ose lui exprimer ma façon de penser alors qu'avant je me serais effacée sous ses reproches.Je crois surtout avoir réussi à faire la part des choses. J'ai laissé ma haine de côté afin de prendre conscience que je n'arriverai jamais à aller de l'avant sans avoir cette conversation avec elle. Je n'arriverai jamais à refermer le livre si je laisse un chapitre inachevé. J'avais besoin de comprendre, comme pour essuyer les dernières accusations qui pesaient sur moi. Je me suis méprise en pensant devoir absolument la faire changer d'avis, en réalité, j'avais plus besoin de me livrer que de réellement l'écouter.
Je remonte mes yeux vers elle et remarque que les siens vagabondent dans le vide. Elle aussi semble un peu perdue. Contre toute attente et malgré la promesse que je me suis faite à 11 ans de la détester durant le restant de mes jours pour ce qu'elle m'avait fait, j'arrive à ressentir de la compassion pour elle. D'une certaine manière, après avoir cru trouver les soeurs qu'elle n'aurait jamais, elle s'est elle aussi renfermée. Sa carapace, bien que différente de la mienne, était tout aussi blindée. Et peut-être qu'une infime partie d'elle, inavouée, aurait souhaité que je persiste un peu plus. Notre lien n'était visiblement pas assez fort pour nous épauler l'une et l'autre.
-Je suis désolée si je t'ai fait remonter de mauvais souvenirs.
Ma voix douce tranche avec les hurlements que je poussais il y a quelques minutes. Mais je n'ai plus envie d'être vilaine avec elle. Eleonor ne me regarde pas et reste immobile. Je ne sais pas vraiment si elle m'écoute, mais je décide quand même de continuer.
-Mais j'avais vraiment besoin de venir ici. Pour te parler et espérer enfin passer à autre chose.
-Passer à autre chose ?
-Oui, il n'y a que moi qui ne l'ai toujours pas fait.
Pour la première fois depuis nos retrouvailles, je lui accorde un sourire même s'il est plutôt triste. Je suis étonnée qu'elle me le rende.
Un rendez vous manqué au final...-Même si je suis passée à autre chose, admet elle, ça fait quand même un peu mal.
-ça le fera toujours, je pense.
Elle aussi a fait son deuil il y a bien longtemps, à la fois de Camille mais aussi de notre amitié insouciante.
Eleonor et moi arrivons à tenir une conversation sans que l'une se mette à crier sur l'autre ou à pleurer. Je n'y aurai même pas songé il y a quelques mois.
Cependant, son sourire se fane et elle baisse la tête.-Mais... même si j'avais envie de te pardonner, je ne pense pas que j'y arriverais. C'est comme ancrée.
Ces mots me font un petit pincement au cœur.
-Je comprends.
Lorsque l'on tiens quelqu'un responsable d'un tel drame, pendant tant de temps, c'est difficile de se défaire de cette opinion. Moi-même, j'ai mis du temps à me pardonner, tellement je m'étais rendue coupable. Donc je ne lui en veux pas. Un jour, sa haine s'envolera à l'instar de la mienne.
-Tu te souviens de ton dernier jour au lycée ?
Comment l'oublier, elle m'était tombée dessus pour me faire la morale et me blâmer de tous mes tords.

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Twins
Teen FictionMarylou n'a jamais vraiment su surmonter la mort de sa sœur jumelle. Cinq ans que Camille est morte, cinq ans que Lou' se sent vide à l'intérieur. Hantée par des souvenirs bien trop limpides, elle peine à remonter la pente. Et ce n'est non pas une...