Chapitre 45

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Je m'étonne à ne pas sangloter. Je devrais m'effondrée, comme à mon habitude. Mais plus maintenant. Je crois que j'ai changé depuis que je suis ici, je me suis endurcie. Ou peut-être que je n'ai tout simplement plus de larmes à pleurer.

Lorsque les cours de l'après-midi touchent à leur fin, je me rends à la sortie principale le plus vite possible afin de guetter l'arrivée d'Isaac. Je dois lui parler. Je n'ai pas osé l'approcher durant les cours, espérant pouvoir l'attraper à 16h, sans être pressée par la sonnerie ou autres élèves trop curieux.

Lorsque je le vois enfin sortir de l'établissement, je lui fais un signe de main. Il me considère un moment, puis s'approche finalement de moi.

C'est déjà un bon début.
Il arrive à mon niveau et j'articule un "salut" presque inaudible qu'il me rend. Je n'ai jamais été aussi tendue pour lui parler.

-On peut discuter cinq minutes ?

Toute réponse négative me fera l'effet d'un nouveau coup dans l'estomac. Il balaye des yeux les environs surpeuplés de lycéens.

-Pas ici, souffle-t-il en m'empoignant le bras doucement pour m'emmener sur le parking afin d'être plus au calme.

J'avais préparé, durant mon heure de géographie, un discours en béton. Tout était prêt, mes différents arguments pour me défendre et la conclusion difficile que j'en ai tirée. Mais, alors qu'il m'entraine à travers la foule, ce discours s'envole. Je ne sais plus pourquoi je voulais tant lui parler. Mes pensées s'évaporent ne laissant que du néant à la place.

C'est possible d'avoir Alzheimer aussi jeune ?

La mère de mon père a été diagnostiquée à un stade très avancé. Lors de nos huit ans, mon père, conscient qu'on approchait de la fin, ne nous a plus jamais laissé la voir, ne voulant pas que les bons souvenirs qu'on avait avec elle soient ternis par la maison de retraite, les médicaments et les oublies incessants. A ce que je sache, cette maladie n'est pas héréditaire ?

On s'arrête dans un coin du parking qui baigne le terrain de rugby. Isaac n'a pas entrainement aujourd'hui. Je connais son emploi du temps sur le bout des doigts.
Je vois bien qu'il ne sait pas quoi me dire. Moi non plus je ne sais plus quoi lui dire. 

-Votre match de vendredi est contre qui déjà ? Demandais je les yeux rivés vers l'équipe B qui effectue des tours de terrain.

-Les Eagles, on doit les battre si on veut être assuré de remporter le championnat.

Je sais que cette rencontre est d'une grande importance. Les cours du vendredi sont d'ailleurs tous annulés pour l'occasion. Je devais assister au match avec Sam.

-L'after se déroule après chez Logan, j'imagine.

-Non, cette fois-ci, on le fait le samedi soir. On reste qu'avec les mecs de l'équipe vendredi.

Samedi, à 9h, j'ai mon audition de piano. Sam et Isaac devaient venir m'écouter.

Je soupire, consciente qu'il faut que j'aborde le sujet.

-Je voulais juste savoir comment ça allait se passer maintenant.

Il me regarde, désappointé, les sourcils froncés, comme s'il ne savait absolument pas où je voulais en venir.

-J'ai bien compris que Sam et toi voulez que je sorte de vos vies, je vois bien ces choses là.

Il souffle alors bruyamment, voyant où je veux en venir.

-Écoute, on n'est plus des gosses. C'est pas une histoire de plus se parler ou non.

-Pourtant, vous m'ignorez tous les deux depuis ce matin.

Niveau maturité ce n'est pas ça non plus.

-Je ne t'ignore pas... C'est juste que...

Il peine à trouver ses mots.

-J'ai besoin de temps pour digérer tout ça.

On se croirait dans plus belle la vie, au moment où une femme annonce à son mari qu'elle l'a trompé. Cette phrase, je la connais par cœur. Je ne suis pas dupe, le plus souvent, les personnes qui disent ça ne reviennes jamais.

-Pitié, ne sois pas évasif, reprenais je, si tu veux qu'on ne se parle plus dis le tout de suite, ce sera plus rapide.

-Marylou putain, arrête de penser que tout est tout blanc ou tout noir !

Je ne comprends pas.

-On ne peut pas aller d'un extrême à un autre, continue-t-il avant d'ajouter en soupirant. Je me rends juste compte que je ne te connais pas vraiment.

Personne ne me connait, même moi je ne me connais pas.

-Il faut juste me croire.

-Te croire ? Demande-t-il en marquant une pause avant de reprendre. Pourquoi tu es partie de Stanford ?

Que dire ?

La version qu'il a entendue, n'est pas complètement fausse, bien qu'elle soit horrible. Le problème, c'est que la version originale est encore pire.
Suite à mon manque de réponse il pâlit, comme si je venais de louper la seule chance de me rattraper.

-Tu vois ? Comment je peux te faire confiance ?

Je le comprends, je n'aimerai pas rester ami avec une fille comme moi. Je ne lui en veux pas, c'est normal. Je suis lâche.

Je baisse la tête et me mords l'intérieur de la joue pour retenir mes larmes. Trop tard, elles dévalent déjà de sous mes paupières. Isaac me prend dans ses bras et je le sers le plus fort possible. Je suis tout juste plus petite d'une tête que lui, alors mon crâne se cale parfaitement sur son épaule. Je l'étreins avec force, respirant son odeur, consciente que c'est la dernière fois. Je le serre en y évacuant toute ma peine. Je l'entoure de ma tristesse. Il me caresse doucement le dos pour me calmer, alors que mes pleurs inondent son tee-shirt. 

-Fais attention à toi, finit il par murmurer avant de s'éloigner.

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