L'intérieur non plus n'a pas beaucoup changé. Avant de devenir une école de musique, il s'agissait d'un ancien pensionnat. Je ne sais pas quelle magie la fait tenir debout. Statistiquement, elle devrait déjà être tombée en ruine. Le deuxième étage est d'ailleurs inaccessible pour risque d'éboulement. Déjà à l'époque, des travaux avaient été envisagés. Je constate aisément qu'aucun n'a réellement eu la chance de voir le jour.
Je passe devant le secrétariat en me faisant la plus discrète possible. Nicole y est toujours assise avec un thé à la main, même après toutes ses années. Elle ne doit plus se souvenir de moi. Tant bien même, je doute qu'elle puisse me reconnaître. Je me dirige donc directement vers les escaliers et gravis les marches quatre à quatre. Un bruit monstrueux retentit à chacun de mes pas. Mais comment font-ils pour ne pas avoir peur que le plafond ne leur tombe dessus ?
Une partie de moi stoppe mes jambes face à la salle C, comme si mes muscles avaient retrouvés la mémoire et s'attendaient à ce que j'assiste à mon cours de piano hebdomadaire. Mais ce n'est pas le cas. Alors, je reprend ma marche vers la salle E. Je toque discrètement, ne souhaitant pas attirer trop l'attention. Je ne sais même pas si elle travaille toujours ici.
On m'indique d'entrer et je pousse la porte, sans trop réfléchir afin de m'empêcher de me dégonfler. Mon regard est instantanément capté par Laure, dos à moi, et la première pensée qui me vient en tête est qu'elle n'a pas changé d'un poil. Son éternelle queue de cheval surplombe toujours sa tête, bien que quelques cheveux blancs se mêlent à sa tignasse noir corbeau, et je constate qu'elle porte encore ses fameux vêtements colorés du type Desigual.Je la regarde se retourner et voit clairement ses yeux sortir de leurs orbites.
-ça alors.
Je peux lire la surprise qui émane de son visage. Elle semble sidérée.
C'est normal. Après cinq ans, elle n'imaginait sûrement pas me voir débarquer un jour, dans la peau d'un petit bout de femme qui plus est. Encore sous le choc, ses yeux écarquillés me fixent intensément, comme pour s'assurer que je suis bien réelle. Je ne peux m'empêcher de baisser la tête sous l'intensité de son regard. Cette dernière retombent sur la petite fille à ses pieds. Je mets un moment à la reconnaitre mais c'est un coup de vieux monumental que je me prends en pleine figure lorsque le verdict tombe.-Polly, tu veux bien descendre voir Nicole ? J'arrive tout de suite, lui chuchote sa mère tout en lui caressant les cheveux.
Polly. Ce n'était qu'un bébé lorsque je l'ai vu pour la dernière fois. Nos rencontres se comptent sur les doigts d'une main. Elle est née quelques mois avant la mort de Camille.
La petite ne bronche même pas. Elle attrape son sac à dos et sautille vers la porte, toute contente. Elle m'adresse un rapide sourire avant de sortir de la salle, me laissant par la même occasion, seule avec sa mère.Le silence pesant qui s'installe me comprime la cage thoracique. Aucune de nous n'ose ouvrir la bouche. Aucune de nous ne sait quoi dire à l'autre. Notre dernière rencontre remonte à si longtemps. Je laisse donc mes yeux vagabonder à travers la salle, à la recherche d'un moyen pour entamer la conversation. J'ai du mal à me souvenir de comment elle était, je n'y suis pas rentrée tant de fois, me contentant d'attendre devant la porte lorsque je finissais mes cours avant ceux de Camille. Mon regard est attiré par l'étui ouvert de son violon. J'y découvre quelques photos accrochées. Polly est sur la plupart d'entre elles.
-Elle a bien grandi.
-Eh oui, elle va avoir six ans le mois prochain.
Elle déglutit à la seconde où elle achève sa phrase tandis que je baisse la tête. Six ans. Cela va bientôt faire six ans. J'ai à la fois l'impression que ça a duré une éternité, mais aussi une fraction de seconde.
Je me mords la lèvre inférieure, m'empêchant de ruminer et m'oblige à relever la tête. Je me dois de lui parler.
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Twins
Teen FictionMarylou n'a jamais vraiment su surmonter la mort de sa sœur jumelle. Cinq ans que Camille est morte, cinq ans que Lou' se sent vide à l'intérieur. Hantée par des souvenirs bien trop limpides, elle peine à remonter la pente. Et ce n'est non pas une...